28 avril 2010

Le mot de Gordon

Comme pour clore - provisoirement - le débat sur l'excès stérile de perfectionnisme dans la profession, American Cinematographer citait aujourd'hui sur FB le grand Gordon Willis:

25 avril 2010

Vive l'imperfection!

Je me lance dans un petit pamphlet. Prenez-le comme tel. Je force un peu le trait pour me faire comprendre, mais le but est de provoquer un débat, pas d'asséner ma vérité.

Il n'existe pas d'antonyme à "perfectionnisme". Je propose donc "imperfectionnisme". C'est ma nouvelle religion en matière de technologie. Alors que l'iPad ignore délibérément les fonctions qu'on attendrait d'un ordi portable, et que les photographes accros aux mégapixels commencent à avouer que cette compétition ne mène nulle part, je trouve qu'en matière de caméras et d'objectifs, la course à la perfection technologique a assez duré.

Aujourd'hui on filme en ultra-haute définition avec des objectifs méga-piqués mais ensuite - horrifiés par les imperfections sur le visage de la jeune première, et déçus par le manque de caractère des images - on diffuse, on dégrade, on nivelle et on granule.

Pourquoi rejeter des objectifs qui vignettent et qui "flairent" (ouch, le vilain néologisme!) alors même qu'on trouvera les images trop cliniques sur le banc d'étalonnage? Rejeter un vieil objectif sous prétexte d'imperfection, c'est comme rejeter une pomme "bio" parce qu'elle est un peu difforme (certes, mais tellement plus savoureuse qu'une pomme parfaite), ou choisir un chien en fonction de ses gènes et non de sa "personnalité".
Bien sûr, certains objectifs méritent de rester sur les étagères, tout comme les pommes blettes ou les roquets hargneux. Et bien sûr, il y a une bonne raison de préférer les objectifs "parfaits" aux autres: ils permettront d'assurer les raccords visuels lorsque plusieurs lentilles auront servi à filmer une même séquence. Mais je veux exprimer quelque chose de plus général, un véritable ras-le-bol du "plus-que-parfait".

Aujourd'hui les vendeurs de plasmas/LCD font croire aux clients qu'une télé 600Hz (600 rafraîchissements par seconde) est bien meilleure qu'une 100Hz. Alors qu'à l'évidence, vous voyez bien que le visage de Johnny Depp est tellement rafraîchi qu'il ressemble à du plastique et que le galion pirate paraît avoir été filmé en vidéo entrelacée dans une pataugeoire.

Parti en vacances à Split (Croatie), j'ai laissé mon Canon de 15 mégapixels à la maison. Je me balade avec mon "vieil" iPhone 3G et une application photo qui tente de retrouver le look argentique et les aberrations optiques des vieux appareils. Tout y passe, que ce soient les erreurs de labo, les taches de vieillissement, le virage des couleurs, le vignettage, les contrastes trop forts des émulsions inversibles, etc.
Eh bien, je trouve que ces photos imparfaites sont souvent bien plus intéressantes que ne le seraient des images prises avec un 6x6 numérique muni du meilleur objectif du marché.



Toutes proportions gardées, je retrouve dans ces images "moins-que-parfaites" un peu de cette magie que j'aime dans certains films de l'Est. Des oeuvres hongroises, tchèques ou polonaises - des pays où l'on voue à l'image un véritable culte. Souvenez-vous des stupéfiantes images que Slawomir Idziak avait créé pour "Tu ne tueras point" en 1988, "La Double Vie de Véronique" en 1991 ou Gattacca en 1997. Diffractées, "abimées", colorées, certes. Mais combien plus évocatrices et envoûtantes que ne l'auraient été des reproductions fidèles - en 4K et en relief - de ce que l'équipe voyait sur le plateau?

Alors? Pensez-vous qu'il est temps de revendiquer l'imperfection comme quelque chose de profondément humain - en accord avec notre façon de voir le monde - ou au contraire êtes-vous un partisan de l'ultra-réalisme - définition maximale, piqué absolu et relief 3-D?

17 avril 2010

Plage, Ext. Nuit


Juste pour le plaisir des yeux, un très bel extérieur nuit tiré du dixième épisode de la dernière saison de LOST. Dir. Photo: John S. Bartley.

Ce plan est d'autant plus réussi que les plages nocturnes sont très difficiles à mettre en lumière. Les vagues éclairées depuis la plage ont toujours l'air plates puisque seule l'écume est illuminée, l'eau restant très noire. Placer un projecteur au large est trop compliqué et donnerait l'impression que l'île n'est pas déserte.

Ici, ce sont les très fines gouttelette de la brume marine qui captent la lumière et font exister l'atmosphère tout en débouchant les noirs du ciel et de l'eau.
La brume et l'écume permettent de silhouetter l'homme, tandis que la femme se découpe également contre la brume et le sable. Un projecteur gauche cadre augmente l'effet du feu sur la femme, et harmonise la colorimétrie en offrant un contrepoint chaud au bleu métallique ambiant.
Cette composition cadre/lumière m'a paru à la fois si simple et si belle que je voulais la partager avec vous ;-)

16 avril 2010

Lester et Edmond: bilan

Les premières publiques de Lester et Edmond sont maintenant derrière nous. Les deux projections ont attiré plusieurs centaines de personnes, ce qui est étonnant pour des formats courts. Merci à tous ceux qui m'ont donné leurs impressions, elles me sont extrêmement précieuses pour ajuster plus finement le tir, qu'elles soient positives ou négatives.

Les discussions que j'ai avec les membres de mon équipe tournent autour de sujets (le grain apparent, la saturation, la restitution de la gamme de tonalités, le respect du format 2.35, etc.) dont le public se fiche éperdument. La majorité des défauts qui me font grincer des dents passe totalement inaperçu même auprès de confrères professionnels.
En revanche certaines remarques attirent mon attention sur des points inattendus. La façon dont le public "absorbe" un film est en tout point fascinante. C'est quelque chose qui dépasse la logique, et pose des questions vraiment essentielles.

Mais au-delà de ces projections en particulier, je voulais tirer un bref bilan de ces deux aventures parce qu'elles sont similaires: tournage en RED, post-prod sur RAIN et shoot sur négatif depuis les images 4K anamorphosées.

- La définition est étonnante, meilleure que celle de la plupart des copies standard qu'on voit dans les cinémas. C'est sans doute dû au workflow du labo, puisqu'un "négatif numérique" permet de sauter les étapes interpositif/internégatif qui dégradent les images;

- Les couleurs sont un peu plus saturées que prévu, surtout dans les oranges. Je savais que le labo film contraste un peu les images ce qui densifie les couleurs, mais le pic dans l'orange reste un mystère à éclaircir. Enquête en cours;

- La pellicule ajoute un petit grain souvent bienvenu. C'est sans doute une habitude visuelle du XXe siècle;

- Les deux films flirtent avec les basses lumières. Du coup les artefacts du capteur de la RED apparaissent sur la copie 35mm si les points de tirage ne sont pas rigoureusement justes. C'est LA zone dangereuse quand on tourne avec ce genre de capteur. Il importe donc de bien ajuster tous les maillons de la chaîne de post-prod pour être confiant qu'un "noir" dans la zone des 10% (par exemple) apparaisse gris très sombre sur la copie 35mm;

- Toujours au rayon des basses lumières, il est important de savoir en-dessous de quelles valeurs les noirs seront "clippés", c'est-à-dire que toutes ces valeurs plus basses disparaîtront dans un noir total. Dans le cas des deux films pré-cités, cette valeur tournait autour des 7%. Nous nous sommes arrangés pour faire disparaître les artefacts du capteur en-dessous de cette valeur. Sur certains plans très sombres les artefacts dépassent un peu cette zone et commencent à poindre le bout de leur nez. Ces quelques plans requièrent un soin tout particulier, en l'occurrence:
a. un ajustement fin des les valeurs de sortie de l'étalonnage numérique (clippage plus haut)
b. le choix de l'émulsion de la copie d'exploitation (Standard ou Premium) et
c. le réglage précis des points d'exposition au labo film.
Certains de ces points sont encore en réglage à l'heure où j'écris ces lignes. Les copies ultérieures seront légèrement rectifiées. Les leçons tirées de la mise en place du workflow serviront à tous les projets qui suivront cette filière RAIN > Arane / Gulliver Paris.

Le réglage est très fin parce que le choix de la pellicule influence directement la façon dont les noirs plongent vers des valeurs très basses. Le bruit révélé par un clippage plus bas pourrait disparaître avec la Premium alors qu'il serait visible sur la Standard, et exigerait une sous-ex de 2 points sur la tireuse du labo.

- Pour dompter ces zones critiques, j'essaie dans la mesure du possible de ne pas tourner à pleine ouverture, pour pouvoir contrôler très précisément les zones sous-ex sans flirter avec le bruit du capteur. Ca n'est évidemment pas toujours possible, vu que dans l'esprit des prods, un tournage en pénombre ne requiert pas beaucoup de lumière. C'est l'inverse qui est vrai.

13 avril 2010

Les démons d'Edmond



Christophe Perrier vient de terminer son court-métrage "Les démons d'Edmond" (je sais, mais il est très fier de ses jeux de mots).
Tourné en RED et étalonné sur RAIN chez Freestudios.
Labo film: Arane, Paris.

Exploitation en 35mm scope (2.35) à partir d'images 4K anamorphosées sur toute la hauteur du négatif, ce qui aboutit à des images extrêmement piquées. L'alternative aurait consisté à "letterboxer" les images, qui auraient occupé la moitié de la hauteur du négatif.
Le grain de la pellicule ajoute quelques chose d'indicible aux images, certains diraient une âme.

Première projection publique dans un cinéma de Genève: le CAC Voltaire, dans la Maison des Arts du Grutli, ce jeudi 15 avril à 18:15. Entrée libre. Christophe se rachètera de ses jeux de mots douteux en offrant des vins valaisans lors de l'apéro post-projo.

PS: Le film sera projeté par la suite dans bon nombre de festivals. Le précédent opus de Christophe avait concouru au fameux New York Film Festival, où il avait inauguré la nouvelle salle de cinéma numérique.

09 avril 2010

Morsure de rappel


Est-il possible que vous ne sachiez pas que vous êtes cordialement invités à la première de Lester, le nouveau court de Pascal Forney? Elle aura lieu le mercredi 14 avril au cinéma Atlantic (Lausanne) à 20:30. Entrée libre. Le film sera projeté en 35mm scope.

Dès 18:00 Arnaud Gantenbein et Pascal Forney donneront une conférence qui s'annonce assez virtuose, puisqu'ils feront le tour de ce qu'implique la fabrication d'un court-métrage de genre, de la première idée à la première projection.

Détails sur imaginastudio.com.

06 avril 2010

Light Quiz: The Ghost Writer

Allez, un petit jeu:

Dans The Ghost Writer, le décor de l'intérieur de la maison de Pierce Brosnan semble avoir été construit en studio. Je devine que c'est à Babelsberg (je n'ai encore rien lu sur le tournage mais je suis resté au bout du générique).
Une pièce est souvent filmée, celle qui montre la vue sur les dunes herbeuses battues par les vents, à travers une grande vitre.

Un détail permet d'être certain que la lumière qui provient de l'extérieur de la pièce n'est pas celle du jour gris que l'on voit à travers la fenêtre. Quel est ce détail?
A quoi devrait ressembler le dispositif d'éclairage qui simulait le jour gris?

Plus tard dans le film, l'extérieur de l'avion de Brosnan est fréquemment éclairé par une certaine source. Laquelle et à quoi le voit-on?

C'est le Polonais Pawel Edelman qui a éclairé le film, et je suis très admiratif de son travail (grain maîtrisé, couleurs délicates, belles lumières douces et contrastées sur les visages). Quelques petits soucis à l'étalonnage dans les noirs de certains plans, mais on ne va pas bouder notre plaisir. Allez le voir au cinéma.
_____

J'ai l'impression que vous séchez.
Premier indice pour repérer les sources de l'intérieur jour: cherchez dans les reflets. Un gros accessoire brillant vous mènera sur la piste.
Deuxième indice: cherchez dans la bande-annonce. Par exemple, dans ce plan:


Exact Tof, la réponse à la question est le cendrier. Pendant la projection du film, on voit clairement 3-4 rectangles lumineux (Chimeras? Wall-O-Lite?) entourés de noir se refléter au fond du grand cendrier. C'est tout le noir autour de ces quelques sources de lumière qui révèle que la scène était éclairée par tout autre chose que par le "jour blanc" que l'on voit à travers la vitre. 
Ceci dit, j'aime beaucoup le parti-pris d'Edelman de contraster les éclairages intérieurs plutôt que d'imiter servilement un vrai jour blanc, qui aurait amoindri les contrastes et fait penser à un docu ou un film réaliste, mais pas à un thriller.

Reste la deuxième question: quelle source Edelman a-t-il utilisée pour éclairer le jet privé de Brosnan lorsqu'il est sur le tarmac?

C'est encore Tof qui a trouvé: c'est un ballon éclairant Airstar Tube. L'avantage en l'occurence est qu'on peut le faire voler au-dessus de l'avion sans risque pour la carlingue. Un cadre aurait été un peu plus dangereux, et moins éclairant puisque la lumière aurait été réfléchie contre une toile plutôt que diffusée par un ballon.
Vous pouvez admirer l'oiseau sur cette page.

Alors, trop difficile ce concours?

04 avril 2010

Masterclass Series - l'éclairage de studio





Cette nouvelle MC de Kodak Australie est consacré à l'éclairage de studio.

Donald McAlpine (lien imdb) et Denis Lenoir (imdb) y donnent chacun un cours de trois jours, sans savoir ce que l'autre a fait, sur cette pratique très particulière qu'est la mise en lumière d'un décor "factice".

Pour un chef op, travailler en studio c'est disposer de la liberté - parfois angoissante - de commencer un éclairage à partir du noir absolu.
Toutes les questions qui se posent dès lors peuvent mener vers des images radicalement différentes.

En plus des questions d'ambiance, de raccords ou de logique, il importe de donner au décor une vraisemblance, de faire exister les murs et les accessoires pour faciliter chez le spectateur ce que les anglo-saxons appellent "the suspension of disbelief", l'acceptation du factice comme quelque chose de vrai.

Les antiques VHS que j'ai digitalisées ont parfois mal vieilli. Dans la seconde partie le son saute d'un mot à l'autre de façon précipitée. Mais l'essentiel est sauvegardé.

Bon visionnement!

http://tinyurl.com/Masterclass-Studio - ce lien expirera début juin 2010.

Masterclasses - dates de péremption

A la demande d'un lecteur du blog, je viens de remettre en ligne la Masterclass que Dean Semler avait animé autour de son travail sur "Dances With Wolves".
http://tinyurl.com/Masterclass-Semler

Les liens que je fournis sont provisoires, pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles étant que je n'ai pas la conscience très tranquille en publiant ces vidéos sans en avoir l'autorisation. Une autre bonne raison est que j'ai envie de faire de la place sur le serveur Yousendit. L'option que j'ai souscrite pour vous me coûte une dizaine d'euros par mois, et je suis limité à un certain nombre de Gb.

Je mets donc ces films à votre disposition à une condition: vous les téléchargez dans les deux mois qui suivent la mise en ligne du post.

Si l'un d'entre vous aimerait les rendre accessibles ad aeternam sur son serveur, qu'il me donne l'URL et je renverrai les retardataires sur son site.
Merci de votre compréhension ;-)