26 janvier 2022

Le Making Of de Macbeth

 


Bien sûr, ce Making Of s'adresse surtout aux votants des Oscars, et illustre avec force superlatifs le travail d'équipe qui a conduit à ce film… exceptionnel.
Mais c'est aussi un bon moyen d'évaluer la part de travail de chacun, et la totale motivation des divers départements impliqués. 
Quelques passages furtifs montrent le set-up lumière de Bruno Delbonnel. Vivement les Oscars!

19 janvier 2022

Macbeth inspire à Delbonnel un Noir et Blanc limpide, et prodigieusement beau




Tourné en couleurs sur Arri LF avec des Cooke S7 puis post-produit en Noir et Blanc, "La Tragédie de Macbeth" est LE film à voir en ce moment. Bruno Delbonnel AFC nous avait habitués à des films hauts en couleurs, comme Amélie Poulain ou le génial "The Ballad of Buster Scruggs". 
Ici, chacun des plans s'impose par sa justesse au point de s'imprimer à jamais dans nos mémoires. 

Bruno Delbonnel s'était exprimé sur ce film à l'issue de sa projection au Festival Energa Camerimage, et il a tout récemment donné une interview à IndieWire, qui suit sa filmographie avec attention. Les deux interventions se recoupent sur bien des points.

Cerise sur le gâteau, le magazine de ICG a consacré sa UNE de janvier à Macbeth. L'article est très fouillé, y compris techniquement sur les sources utilisées ou les options radicales à l'étalonnage.
Pour les non-anglophones je résume les points saillants ci-dessous, et je vous mets le lien vers les articles originaux à la fin de ce post.

© ICG Magazine

- Joel Coen entend filmer ce Macbeth en studio comme un vrai film tout en flirtant avec une certaine théâtralité;

- Frappé par l'intensité du texte, Delbonnel opte pour le minimalisme: cadrages et lumières limpides, évoquant un Haiku. La meilleure façon selon lui de mettre le récit en valeur;

- Le Noir et Blanc s'impose dès lors, et qui plus est le format 1,37:1. Delbonnel explique que ce format presque carré permet de mieux isoler les visages;

- Principales références pour les images: certains films de David Lean, la photo de Greg Toland sur "Wuthering Heights". "Sunrise" de Murnau ou "Kwaidan" de Kobayashi. Mais surtout "La Passion de Jeanne d'Arc" de Dreyer.



- Le film est cependant tourné en couleurs pour offrir plus de souplesse à l'étalonnage;

A ce propos, le DIT Joshua Gollish et l'étalonneur Peter Doyle se sont référés aux films mentionnés ci-dessus pour créer un look sur mesure. En court-circuitant la LUT officielle et en travaillant dans un espace colorimétrique spécifique (Oklab, voir ci-dessous), ils ont pu offrir à Delbonnel d'une part une restitution plus subtile des valeurs de luminance, et d'autre part une palette de longueurs d'ondes qui englobait certains infrarouges et certains ultraviolets. Un procédé qui rappelle les photos de la fin du 19e siècle, où des plaques métalliques photosensibles reproduisaient certains UV et certains bleus plus intensément que d'autres couleurs.

- Delbonnel et le Production Designer Stefan Dechant forment un tandem extraordinaire.
Coïncidence? Une semaine avant d'être engagé sur le film, Dechant cherchait un projet dans la lignée du Dracula de Coppola. Bingo!
Galvanisés l'un par l'autre, ils vont jusqu'à peindre des ombres sur les murs, ou des cieux sur des toiles, comme au temps de l'expressionnisme. Une technique à laquelle Delbonnel avait déjà recouru pour le final de Buster Scruggs:


- Delbonnel aime rythmer sa lumière, en support ou en contrepoint de l'action, et c'est très apparent dans ce film. Que ce soit dans un plan ou sur l'ensemble du film, l'alternance de sources dures et douces, d'ombres denses et de hautes lumières contribue à cadencer la narration. On sent que les comédiens se servent de ces contrastes pour nourrir leur jeu.

- Parmi les sources utilisées, pas de HMI. Les faisceaux les plus puissants proviennent des SolaHyBeam 3000 et SolaFrame 3000 des "canons de lumière" très précis qui sont beaucoup utilisés en événementiel. Leur faisceau peut atteindre 37'000 lumen et leur lumière rappelle celle des anciennes lampes à arc. La version sans ventilateur de ces sources (SolaFrame Theatre) était utilisée lorsqu'il s'avérait nécessaire de les rapprocher des acteurs.
Les autres sources sont plus traditionnelles: incandescentes, ou LEDs doux comme les SkyPanels, ces derniers étant utilisés principalement sur les décors.

- Pour dessiner les ombres nettes et contrastées, Delbonnel a eu recours à de nombreux gobos dans les Sola. Par exemple pour la très belle séquence des colonnades, que Denzel Washington parcourt pendant un monologue. 

- Et enfin, Delbonnel a utilisé l'Alexa LF en 500 ISO, s'éloignant ainsi de la sensibilité native de la caméra. Il préfère travailler en se fiant à son oeil. Le fait qu'une caméra soit sensible en basses lumières ne veut pas dire qu'on devrait "exposer à 4000 ISO avec du Negative Fill". La technologie ne devrait jamais dicter nos choix.
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Notes et bonus

L'interview originale sur IndieWire.

ICG Magazine de janvier, lisible en ligne.

Un post détaillé en anglais sur le procédé photographique qui a influencé l'étalonnage de Macbeth.

Un article de fond en anglais sur l'espace colorimétrique Oklab, basé sur l'idée que la restitution de la seule luminance, lorsque l'on passe d'une image couleur à une image Noir & Blanc, n'est pas satisfaisante dans les espaces colorimétriques traditionnels:

"The Tragedy of Macbeth" est visible sur Apple TV+ (pendant les jours d'essai gratuits, je dis ça je dis rien...)

Le breakdown des VFX (effets spéciaux visuels). Attention spoilers:


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Orson Welles avait en son temps filmé un Macbeth, mais c'est son Othello (1951) qui reste, encore aujourd'hui, une référence absolue en chefoperie:





Hommage à Greg Toland, l'une des références image pour "The Tragedy of Macbeth".