30 novembre 2011

Repérages virtuels

Pendant plus d'un siècle, le travail préparatoire d'un film impliquait de nombreuses réunions, et les repérages s'effectuaient nécessairement dans le monde réel, avec déplacements et nuits d'hôtel.

Mais depuis quelques années, j'aime prendre un peu d'avance et préparer le terrain en recourant aux divers outils que le web ou les applications mobiles offrent aux chefs op un peu geeks.

Vues d'ensemble

Je commence en général par Google Maps, en m'approchant du décor par le plus de chemins possibles, au ras du sol et dans les vues en plan et à 45°.
En quelques minutes je trouve des réponses ou des pistes sur les questions primordiales comme:
  • les accès au sol: possibilités de parking, sens uniques, cours intérieures, places à venthouser;
  • la longueur des lignes depuis le groupe électrogène;
  • les immeubles les plus récents du bloc, pour y prévoir un branchement forain;
  • les accès sur les toits environnants, et le positionnement de sources en face du décor.
    C'est aussi un moyen de trouver des solutions d'éclairages en déport depuis le toit de l'immeuble où on tournera.
    Les extérieurs nuits sont plus faciles à préparer en vue d'oiseau: la courbure des rues vous indique si un immeuble fera de l'ombre sur la partie de la rue que vous visez depuis un toit à 50 mètres;
  • les vues depuis le décor, et les découvertes probables (ce qu'on apercevra depuis les fenêtres);
  • le mode Street View donne également une idée de l'état du sol, à communiquer au chef machino pour les calages de travellings;
  • et enfin, je promène le petit bonhomme jaune autour du décor pour découvrir les photos "panoramio" que les visiteurs du lieu ont postées. Il m'est arrivé de trouver des angles intéressants, sur des décors inconnus et distants, et de les proposer au réalisateur qui les intégrait au storyboard, tout ceci avant même d'y poser réellement les pieds.
La course du Râ

On ne compte plus les programmes qui illustrent la course du soleil. J'en utilise un sur iPad qui s'appelle Sun Seeker. Il superpose les positions du soleil sur des vues du ciel, ou en 3D sur le décor existant, via la caméra de l'iPad. Et ceci n'importe où sur Terre, à n'importe quel moment.
J'ai ainsi pu planifier un tournage en montagne en fonction des angles d'illumination qui m'intéressaient - lumière latérale pour les plans larges et en contre-jour pour les gros plans. En un clin d'oeil, je savais que je pouvais commencer la journée par les plans serrés.



De la même façon, lorsqu'un autre réalisateur m'a donné le nom de la bibliothèque dans laquelle il souhaitait tourner, je lui ai conseillé d'y tourner le matin étant donné que je cherche des contrastes et un effet d'éblouissement sur l'un des deux comédiens:


Vous me direz que le soleil se lève toujours à l'Est. C'est vrai. Mais plus encore que la direction des rayons, c'est leur angle de pénétration qui m'intéresse, directement déductible de l'azimut. Dans la photo ci-dessus, la valeur de l'azimut nous permettra d'atteindre les protagonistes, assis au milieu de la bibliothèque, jusque vers 10 heures du matin. Amplement suffisant pour les plans larges.

Collaborer, partager, échanger, corriger, publier

Travailler online ne s'arrête pas là. 
Que ce soit avec mon Chef Electro ou mon 1er Assistant, nous mettons rapidement au point des listes techniques en ajoutant et modifiant en temps réel des informations sur des tableurs.

Les listes techniques pourraient tout aussi bien circuler par mail, mais il deviendrait alors rapidement impossible de savoir qui dispose de la dernière version, et quels postes ont été modifiés, par qui et quand.

Les Google Docs nous permettent de travailler tous ensemble et en même temps sur un même document, en temps réel.

Je vous montre un exemple d'une liste lumière pour un tournage récent, majoritairement Tungstène - en studio. C'est un film de science fiction. J'ai proposé à mon Chef Electro, Christophe Persoz, de chefoper les écrans verts et les extérieurs, tandis que je prenais en charge les décors en studio. C'est donc une liste lumière qui reflète les besoins de 2 chefs op, et de 2 chefs électros. Imaginez le nombre d'échanges de mails qu'il aurait fallu pour arriver à la liste finale.

Voici la liste, composée en l'espace de 15 jours, au gré de nos emplois du temps passablement chargés. J'en ai fait une page web figée, mais l'original était modifiable jusqu'à la dernière minute. 
Tant qu'une liste est provisoire, nous ne la publions pas aux loueurs. Lorsque le Chef Electro et moi la jugeons optimale, nous l'indiquons en vert, en haut à droite, avec la date de complétion. Les loueurs peuvent alors y accéder, et noter leurs remarques - ou réagir par e-mail.
J'ai effacé les numéros de portables de l'équipe, mais pour le reste vous voyez la liste définitive.

Dans la mesure du possible, je me constitue un dossier par film dans Google Docs. Y figurent en général les différentes versions du scénario, les photos des comédiens et des repérages, des mindmaps, des schémas que je dessine et que je scanne, et bien sûr la Bible - tous les contacts de l'équipe.

Comme ces documents ont accessibles sur toutes les plateformes fixes ou mobiles, et que Google propose un mode "hors connexion" pour les régions sans wifi  ni 3G, je dispose de toutes les informations où que je sois.
Entre deux tournages, j'utilise intensivement Evernote pour collecter des références visuelles et des notes, dès qu'une idée me traverse l'esprit.

Epilogue

Les repérages virtuels bien faits comportent naturellement aussi les adresses des bons bistrots du coin. Mais là par contre, rien ne vaut une visite en "live".

29 novembre 2011

Lubezki remporte sa première récompense pour "The Tree of Life"

Le New York Film Critics Circle vient d'attribuer ses lauriers, et ils donnent en général le ton pour les Oscars.
C'est Emmanuel Lubezki qui a remporté le titre de Best Cinematographer avec "The Tree of Life".

Le reste du palmarès augure du meilleur pour "The Artist": http://www.nyfcc.com/awards/

12 octobre 2011

Devinette

La lumière qui baigne notre vie quotidienne est pour moi une constante source de questionnements et d'inspiration.

Je fixais hier une double porte au fond d'un train, lorsque je me suis dit que ça pourrait être intéressant de vous demander de déduire la forme de la source qui éclaire ces poignées. Sachez que la source se trouvait à un mètre des poignées.

Expliquez votre raisonnement si vous en avez le temps.

11 septembre 2011

A chaque source sa fonction

Tournage dans un cirque. Les plateaux moins complexes gagnent aussi à être éclairés précisément, chaque source remplissant un rôle bien défini.
Lorsqu'on commence à éclairer un plateau, il est bon de prévoir non seulement l'emplacement de chaque source, mais aussi sa fonction précise. Lorsque j'élabore un plan d'éclairage, j'indique souvent un résumé du rôle du projo, juste à côté de son emplacement sur le dessin: "fill coloré arrière-plan", ou "Key du personnage A dans sa position 2", etc.
Attribuer une fonction précise à chaque source peut sembler un poil dogmatique, mais je trouve que c'est un moyen pratique pour les raisons suivantes:

1. Ne rien oublier.

2. Pouvoir vérifier en un clin d'oeil si le projo est bien placé/pointé (par le fait qu'il remplit sa fonction, et uniquement sa fonction).

3. Chaque projecteur ne créant qu'un seul effet, son réglage ultérieur ne modifie pas le reste de l'éclairage, et fait gagner du temps lors des réglages de dernière minute.

4. Lorsque le plateau est complexe, il devient aisé d'identifier la ou les sources qui ne remplissent pas correctement leur fonction: si le Key du personnage A dans sa position 2 est trop fort, le chef électro sait immédiatement quel projecteur il faut régler.

5. Il est plus facile de retrouver le climat exact d'un setup, même plusieurs jours après l'avoir démonté.

6. C'est un bon exercice, à plusieurs niveaux:
- en phase de planning, il permet d'exercer ses capacités à visualiser précisément l'effet qu'aura telle source dans tel contexte;
- pendant la phase de mise en lumière, on confronte ses visualisations à la réalité, et c'est souvent le bon moment pour une remise en question - tout comme un storyboard devrait parfois être remis en question en fonction des circonstances;

C'est dans cette étape de mise en lumière que je relativise la jolie théorie que je viens d'élaborer. En assistant aux réglages depuis le moniteur, je m'aperçois par exemple que telle petite source latérale très secondaire (destinée par exemple à dessiner une ombre contre un mur) peut tout à fait remplacer le "Key position 2" en ajoutant simplement une mama pour couper la moitié inférieure du flux de la source latérale. Ainsi, la petite source latérale a maintenant deux fonctions. Et il n'y a plus besoin d'installer un Key pour la position 2.

Ce questionnement "live"me permet d'améliorer mes réflexes pour simplifier les setups suivants, et accélérer l'installation en cours. Je trouve qu'il est plus aisé, et plus rapide à mener lorsque la base de réflexion est claire (une source = un effet).



Que ce soient des objets ou des visages, il est toujours utile de pouvoir identifier rapidement un problème de rendu, donc de faire en sorte de systématiser le rôle des sources.

Lorsqu'on opte pour un tel setup, il est important de vérifier que le flux de chaque source soit coupé et pointé de sorte qu'il ne "bave" pas sur l'effet d'une autre source.

22 août 2011

"Culte à la lumière"

Marc Salomon, membre consultant de l’AFC signalait dans la Lettre de l'AFC que le grand Sven Nykvist avait publié en 1997 — sur la base d’entretiens avec Bengt Forslund — une passionnante autobiographie en suédois (Vördnad för ljuset).
Il trouvait "pour le moins surprenant, pour ne pas dire totalement incompréhensible, que cet ouvrage essentiel sur un des plus grands directeurs de la photo de l’histoire du cinéma n’ait jamais été traduit, sinon en espagnol et en 2002 seulement, grâce à l’entremise de nos confrères de l’AEC".

Voici les dernières phrases du livre:
"Chaque film est unique et représente un nouveau défi. Il est clair que l’on se sent plus en confiance avec un réalisateur, une équipe et des acteurs que l’on connaît, mais ce qui rend la vie passionnante ce sont justement les nouveaux visages et les nouvelles idées.
Chaque film nous apprend quelque chose de nouveau, et je veux mourir curieux.
Tant que j’aurai du plaisir dans mon travail, je continuerai, et le jour où cela s’arrêtera et viendra la grande solitude, je le prendrai avec calme.
La lumière me tient compagnie. Et il y a toujours de la lumière."

Pour ceux d'entre vous qui comprennent l'espagnol: "Culto a la luz" de Sven Nykvist (Ediciones del imán – AEC – 2002)

09 juillet 2011

Cadre ou lumière / cadre et lumière

"Valhalla Rising" de Nicolas Winding Refn. Le chef op Morten Søborg a cadré lui-même en RED.






Leonor Lacroix, étudiante Image à l'IAD, m'a récemment posé quelques questions sur la complémentarité des métiers de la lumière et du cadre. Comme je pense que le sujet pourrait intéresser quelques uns d'entre vous, je poste des extraits de l'interview.

Considérez-vous que les choix de cadrage doivent être faits uniquement par le réalisateur ou en collaboration avec le chef opérateur ? Par rapport à la situation que vous rencontrez le plus souvent, souhaiteriez-vous qu’il en soit autrement ?

Mes goûts et mon éducation cinématographique me poussent à préférer que le cadre soit dicté par le réalisateur. Pour moi, cadrer c'est prendre des décisions fondamentales, très étroitement liées à la narration de l'histoire, c'est-à-dire la réalisation. Pas seulement en terme de champ/hors-champ, mais aussi de focale, de hauteur de caméra, de mouvements millimétriques. Et surtout de point de vue. Un cadrage "sympa" ou séduisant n'est pas forcément juste. Ni forcément porteur de sens. Mes maîtres en la matière sont Hitchcock et Kubrick. Leurs cadres sont rigoureux et simples, et contribuent à impliquer très fortement le spectateur.

Les décisions de cadrage peuvent évidemment se prendre à deux - réa et chef op - mais la direction générale devrait impérativement être donnée par le réalisateur. Il se peut ensuite que le réa laisse la bride sur le cou au cadreur/chef op, en pariant sur sa sensibilité, mais il a au moins donné le cap.

Les réalisateurs qui laissent au chef op la liberté de décider des cadres, que ce soit en phase de storyboard/découpage ou sur le plateau, me semblent déléguer une part trop importante de leur travail. Ca équivaut à mon sens à une forme de démission.

Lorsque vous préparez une scène, vous commencez par analyser et résoudre tous les problèmes liés au cadre avant de mettre en place la lumière ? Parvenez-vous à mettre en place simultanément le cadre et la lumière ?

Je commence à élaborer les images (cadre, mouvements, lumière, rythme) à la lecture du scénario. Je continue ce processus pendant les repérages, et je le confronte à ce qui est effectivement réalisable le matin du tournage.

D'une manière générale je préfère que les principales décisions de cadre soient prises avant de commencer à éclairer une séquence. L'un des paramètres importants de la mise en lumière est d'organiser la séparation des "couches" en profondeur. Pour faire simple: restituer la sensation d'espace entre le premier plan, les comédiens et le décor. Le choix du placement de la caméra, de la focale, du cadre et de son déplacement vont directement influencer les choix de placement des sources. Que ce soit pour des raisons techniques ou artistiques.

Il y a tant de paramètres qui s'influencent mutuellement qu'il me semble judicieux de commencer par en figer quelques uns. Déterminer le cadre - en fonction d'une mise en place avec les comédiens et le réalisateur - est un bon début.

Evidemment, le cadre peut ensuite évoluer en fonction des besoins de l'éclairage, ou pour accentuer l'expressivité d'un setup une fois que la lumière est terminée.

Considérez-vous que le fait de regarder dans le viseur de la caméra pendant toutes les répétitions vous permette de « mieux » construire votre lumière ? Et aussi que le fait d’observer dans le viseur toutes les prises vous permette de mieux juger de la justesse de votre lumière ?

Absolument. C'est capital parce que j'éclaire "en profondeur", en découpant des tranches avec la lumière. Mais aujourd'hui il n'est plus nécessaire de squatter l'oeilleton de la caméra pour contrôler l'adéquation du cadre et de la lumière. Je me débrouille pour avoir accès en permanence à un écran de contrôle.

Les nouvelles possibilités de monitoring "wireless" réalisent l'un de mes plus vieux rêves: voir en direct, loin de la caméra, l'effet du réglage de chaque source sur le résultat final.

Vous arrive-t-il de ne faire que la lumière/que le cadre sur certains films ? Pour quelles raisons ?

En règle générale je cadre ce que j'éclaire, sauf par exemple lors de plans en Stead ou sur grue à manivelle. Mais que je fasse l'un, l'autre ou les deux, l'essentiel est de comprendre ce que fait l'autre. Ce qu'il vise, ce qui motive ses choix. C'est souvent plus simple quand ce dialogue est intérieur. Mais pas forcément plus clair pour le reste de l'équipe. Un vrai dialogue force à préciser ses intentions, à argumenter, à se confronter à l'autre.
Ce genre de dialogue est extrêmement enrichissant, à une seule condition: qu'il ne vire pas à une confrontation des egos en présence. Un équilibre très délicat s'établit alors, où chacun écoute l'autre sans arrière-pensées, avec comme seule préoccupation le sens et la justesse du résultat final.

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Remarques supplémentaires: le métier de cadreur a tendance à disparaître, pour quelques raisons évidentes (j'en oublie certainement):

- économique: le cumul dir phot + cadreur épargne un salaire à la prod;
- la culture du cadrage devient facultative (les règles de la composition sont malheureusement considérées comme désuètes, et peu d'écoles de cinéma les mettent au programme);
- les bons cadreurs sont rares ou difficiles à trouver > les dir phot ont tendance à assurer eux-mêmes le cadre;

Résultat: les films sont très fréquemment moins bien cadrés qu'autrefois.

Je sors rarement d'un film en me disant qu'il est bien cadré, ou alors le cadre attire spécialement l'attention sur lui, comme dans "The King's Speech" ou "Valhalla Rising". Dans ces cas exceptionnels, le cadrage demande une attention plus soutenue, qui justifierait un poste supplémentaire - même si Valhalla a été cadré par son dir phot.

Et vous, quels films vous ont frappé pour leur cadrage?

10 juin 2011

The Borgias - les lumières de la Renaissance



La première saison de The Borgias (Neil Jordan pour Showtime) vient de se terminer.
Signées par le Canadien Paul Sarossy, les images sont directement inspirées de certains tableaux de la Renaissance. L'histoire racontée inspire à Sarossy des ambiances "chiaroscuro" plutôt radicales, mais aussi des compositions toutes en pénombres, moins fortement contrastées.
C'est un vrai festin pour les yeux. J'ai retenu 46 images pour vous donner un aperçu.

Une interview intéressante de Sarossy vient de paraître sur le site de la Canadian Society of Cinematographers. J'en ai tiré un large extrait:

Eclairage à la bougie ou électrique?

"One decision Sarossy had to make was whether to shoot with real or simulated candlelight. The Italian Renaissance left so much art in its wake that the look of that art has come to represent the look of the times. It has a certain warm, dark glow to it. Sarossy had to figure out if this was indeed how the times appeared to the artists of those paintings, or is it the effect of passing centuries, or is it something else? “In those days those references were brand new, probably very colourful and bright. A famous example was the Sistine Chapel, which was restored a few years ago. Much to everyone’s surprise, it was not a monochrome and muddy looking thing. It was colourful and bright. Presumably that's what it looked like when it was new."

“This particular story and its place in the world has so much visual reference attached to it – frescoes and paintings – it is the forefront of the world of Western visual art. When we decided to shoot one scene in candlelight, I made a discovery. I thought there was some horrible problem, as the scene was getting darker and darker and I couldn’t understand what was happening. Now I get why so few films are not shot in real candlelight. We had 100 candles, and that created a huge amount of black smoke, to the point where the air was so polluted I couldn’t see through it. I guess that’s the reality of that world of candlelight, and there was a lot of smoke in the air. After a few centuries the paintings would have darkened and lost colour. With real candles the smoke is black. With movie smoke, it’s white and that’s good for seeing. That was very interesting.”

Sarossy and the rest of the creative team decided the best way to go was halfway between the world of smoke-affected canvasses and the brightness of what those objects and people must have looked like when they were fresh. “This was definitely a learning curve. The conundrum was: Do I make things look old, because that’s what the audience is expecting, or do I make it look new like it was at the time, but the audience is not used to? In the first few days of work, everything was shot clean but it didn’t look correct. Then it was decided to strike a happy balance. Things may have been relatively new at that point, but Rome is an ancient city. The clothes and ornaments would have been brand new, and those were shot as new, but the walls and windows had centuries of grime. We decided to use some artistic license to make it seem more realistic, and I guess dirty looks more real.”

Choix de la caméra

The choice of camera was determined by the fact that the production would be shot digitally. “The camera came from Munich, the best HD available at the time. Cameras are changing every six months. Whatever camera was the cat’s meow last year is on the junk heap this year. When cameras became digital they became computers with lenses on them, and computers have a very short life span. Everything is changing, upgrading and whatnot. It used to be that you had a camera for decades, but now cameras have become disposable. They have become the new film stock.”

Just for the record, the camera was the Sony F35, “which is very similar to the Panavision Genesis.” It doesn’t seem to make much difference to Sarossy anyway. “I have never been very techno oriented. I am much more intrigued with the story and the way the camera does and doesn’t see things; the way the story is supported by the camera. It doesn’t matter what the camera is, as long as it works.

Deux réalisateurs, deux méthodes de travail

With The Borgias, Sarossy had a chance to work with Neil Jordan, writer, director and Oscar nominee for best director for The Crying Game, and Jeremy Irons, an established A-list star, multiple Oscar nominee and winner for best actor in Reversal of Fortune. What was Sarossy’s experience with Neil Jordan? “It was definitely a great education. What was incredible was his ability at the last minute to figure things out. He’d arrive on set with no pre-conceived notions. He never let pre-formed ideas interfere with how a scene would evolve in front of him. He’d watch the actors play the scene a few times. He’d walk around them with the viewfinder and determine the best place to see the scene play out. He’d ask the operator (Mark Willis) and me what our thoughts were. Very quickly he figured out what was important to see and always allowed the camera to tell the story, in the most efficient yet clever way. We finished everyday with what I felt were some of the best shots I’d ever done. It was kind of mysterious but wonderful.”

Canadian Jeremy Podeswa has been a popular director on high-end American television cable series such as Boardwalk Empire, True Blood and The Pacific. He was one of the four alternate directors on The Borgias. “Jeremy is very organized and prepared. He is a very different kind of director than Neil. Neil Jordan shoots very few shots, but each one is fully committed to moving the story forward, nothing is superfluous. On the other hand, Jeremy is a director who uses coverage where he shoots a lot of the same material over and over. That allows the actors to try many different things, which gives him a wide choice of performances, but the camera moves very little.”

Jeremy Irons

But what about Jeremy Irons, the A-list actor? “As much as he is a star in the American sense, he has the work habits of a European actor. In Europe, an actor feels that they are a part of the crew and are both technicians and artists. ‘Should I stand here first? Should I walk forward? How can I help you tell the story? This is what I plan to do.’ He’s very aware that, what helps the camera helps him, so he’s just wonderful to work with.”


Interview de Paul Sarossy datant de 2004. Il avait déjà éclairé pas mal de films d'Atom Egoyan, dont le très beau "Felicia's Journey".

31 mai 2011

Low Key - un bel exemple

Dirt Devil-The Exorcist from Mr.Price in Motion on Vimeo.



Ce spot qui bénéficie d'un éclairage "low key" est particulièrement soigné. Notez le soin apporté aux détails, comme les lueurs des lampes de chevet contre les murs de la chambre, qui proviennent de petites sources cachées derrière les tables de chevet et créent une jolie zone claire, peu réaliste (les abats-jour translucides devraient laisser passer plus de lumière en direction du mur) mais vraisemblable et très belle.
Les contre-jours blancs et larges, presque systématiques, sont typiques de certaines grosses productions US. De même que des fills très discrets mais omniprésents pour donner une richesse texturale aux noirs.
La palette des couleurs est restreinte et "sonne" particulièrement juste.
Un bel hommage au film original.

Directeur Photo: Roland Stuprich

Low Key: forts contrastes, zones de hautes lumières peu nombreuses, masses sombres importantes, sources visibles ou fortement discernables. La plupart des plans sont éclairés de façon à vignetter l'image avec la lumière du plateau, et non pas en post-prod.

26 mai 2011

Le Lac Noir - le temps des Premières

Ambiance plateau, décor de la cave © Sarah Pariset

Avant-première ce soir du "Lac Noir" à Lausanne, et le 1er juin à Paris au Club de l'Etoile (accès) à 20h. Entrée libre.
Je reviendrai sur le tournage de ce film après ces deux projections, pour ne rien "spoiler".
Pour info, je serai à Paris du 2 au 5 juin. Ecrivez-moi si vous voulez qu'on se croise.

09 mai 2011

Jack Cardiff

Jack a remporté en 1948 l'Oscar pour la meilleure photo couleur avec le très tourmenté "The Black Narcissus".



Pour moi, Jack Cardiff rime avec couleurs et notoriété. C'était l'un des virtuoses du Technicolor, et sans doute le plus médiatisé et le plus récompensé des chefs op de son temps. J'avais dévoré ses mémoires, "Magic Hour, The Life of a Cameraman" (lien amazon.com). Il a éclairé Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Lauren Bacall, et contribué dans un grande mesure à leur statut d'icônes du grand écran.

C'est pourtant en tant que réalisateur d'un petit film en noir et blanc méconnu que je le porte dans mon coeur: "Sons & Lovers" (1961) est l'un de mes films anglais préférés. 

Un documentaire sur lui sort actuellement sur quelques écrans nord-américains. Réalisé par Craig McCall, intitulé "Cameraman - The Life & Work of Jack Cardiff", sa bande-annonce est actuellement visible en HD ici
Scorsese vouant à Cardiff un véritable culte, il se pourrait que le film finisse par sortir sous nos latitudes. 

29 avril 2011

Bleu, rose et noir




J'ai récemment travaillé avec Christophe Persoz sur les images d'un clip électro dont vous pouvez voir un extrait ci-dessus. Christophe est souvent mon chef électro mais sa sensibilité à la lumière est telle que la tentation était forte de créer la lumière ensemble.
Depuis lors, nous avons co-signé les images d'un autre clip, dans un style très épuré. J'y reviendrai.

Ce tournage en particulier est l'occasion d'aborder ce que Conrad Hall appelait les "accidents heureux" (article fondamental dans l'ASC Magazine en 2003).

Le réalisateur Boris Rabusseau nous avait transmis le désir du groupe: s'en tenir à deux couleurs, un bleu et un rose. Christophe a donc trouvé des gélatines qui allaient bien ensemble, la Just Blue et la Bright Pink.

La direction artistique était basée sur le thème des miroirs (deux demi-cercles à lamelles réfléchissantes, quelques boules à facettes), des néons roses et bleus et quelques accessoires de mode, dont des dizaines de tubes de rouges à lèvres. Et un chat.
Pas grand chose en somme. Sur ce type de tournage, le plateau a l'air noir et désert et on se demande comment on va faire pour y créer quatre minutes d'images qui tiennent la route.

Un jour plus tard, on se retrouve avec deux heures de rushes.
Existe-t-il une méthode pour y arriver?
D'abord, réfléchir à des propositions créatives supplémentaires comme recourir à des silhouettes et des ombres chinoises, et jouer avec des contrastes de couleurs (qui respectent la palette graphique du groupe). Ceci pour multiplier les occasions de voir quelque chose se réfléchir dans les miroirs. Les vêtements et le stylisme donnent souvent des idées supplémentaires.

Réglage lumière - © Vincent Calmel
Ensuite, être attentif, à chaque seconde de la journée et particulièrement pendant les installations, à tous les phénomènes furtifs qui se passent autour de soi: reflets multiples, éclats de lumière imprévus, chevauchements de couleurs, ombres colorées, diffractions étranges et réfractions poétiques, déformations dans les miroirs, fills colorés, etc.

A propos de miroirs, j'avais trouvé par terre, pendant le tournage, un petit miroir fissuré. Tenu en biais à côté de l'objectif, tout près de la caméra et dans le champ, il renvoyait de multiples images diffractées de la scène filmée. Comme ça allait dans le sens du film, et que ça habillait les bords de l'image, j'ai eu recours à ce miroir sur une bonne partie des gros plans. Sans cette trouvaille fortuite quelques instants avant de filmer, les plans auraient été moins "baroques". 

Il est parfois difficile de rester en éveil, prêt à prendre en compte des "hasards heureux" qui vont dans le sens de ce qu'on construit. En particulier sur les fictions ou les pubs où on joue avec beaucoup de matériel, notre sens de l'observation pourrait être anesthésié. C'est l'une des raisons pour lesquelles le chef op "plane" sur le plateau plutôt que de s'affairer sur des branchements: pour garder une vision d'ensemble, guetter les solutions alternatives, et intégrer au mieux, jusqu'au dernier moment, tout ce qui va contribuer à donner du sens à ce qu'il fait.

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L'extrait ci-dessus en HD est visible sur cette page Vimeo
Le clip complet sur Dailymotion: http://goo.gl/6h8nZ

Caméras numériques professionnelles - un tableau bien utile

Guillaume Quilichini de Cinematographie.info a repéré un tableau comparatif des caméras numériques actuellement en activité. Taille des capteurs, mais aussi formats de sortie, vitesses de prises de vues, avantages, taux de compression, etc. Dans la jungle actuelle des formats et des rumeurs, voici une machette bien affûtée pour tailler son chemin en toute connaissance de cause.

C'est Fletcher Cameras & Lenses qui a rassemblé les infos sur une page web.

Le PDF (2 pages) se trouve ici: http://goo.gl/1Krhf

12 avril 2011

ARRI lance une série de Fresnels à LEDs

J'attendais ARRI au tournant: ils avaient publié un papier affirmant que les indices IRC des sources à LEDs n'étaient pas encore convaincants pour une utilisation professionnelle sur des plateaux de cinéma.
En effet, le spectre discontinu des LEDs faisait disparaître 20% des couleurs du sujet éclairé.

Profitant de la couverture médiatique du NAB, la marque allemande vient d'annoncer le lancement de sa série de Fresnels à LEDs.
Belles bestioles, silencieuses et polyvalentes.
A lire la doc technique des projos, l'indice est passé de 80 à 90, ce qui représente un progrès très significatif.

En attendant de vrais tests, je vous laisse voir la vidéo.




La page L-Series sur le site Arri.

11 avril 2011

La Bible du DSLR


Beaucoup de choses ont été écrites sur les "caméras DSLR", au point qu'il est difficile d'en extraire des certitudes.
Le mystérieux Koo du site nofilmschool.com a fait le point dans un e-book aussi agréable à lire que truffé d'infos capitales sur tout ce qui touche à ce domaine en pleine ébullition.

Le livre est disponible gratuitement, mais je vous encourage à donner quelques dollars à l'auteur si vous estimez qu'il vous a été utile.

10 avril 2011

Tests latitude d'exposition de la F3



Le site AbelCine a publié un test de la latitude d'expo de la petite dernière de Sony, la F3.
En attendant les S-Log qui étendront un peu plus cette latitude - ou du moins lui donneront davantage la réactivité d'un négatif film, pour 3000$ de plus - on constate qu'elle peut restituer correctement une amplitude lumineuse d'environ 11 diaphs, ce qui est relativement intéressant.

A voir les courbes, elle restitue mieux (avec plus de finesse) les zones entre le gris moyen et les noirs que les hautes lumières. Et d'après les tests que j'ai pu effectuer, c'est effectivement une très bonne caméra pour les situations où il faut "faire avec" l'éclairage existant.

A noter: les presets gamma sont bien étudiés. Le Cine 1 améliore le rendu des hautes lumières, alors que le Cine 4 est meilleur dans les pénombres.
Vidéo complète ici.

23 mars 2011

Etalonnage à 180°

La timeline révèle un recours à des alternances de séquences à dominantes complémentaires.
L'étalonnage du film tourné au Japon - dont je vous avais déjà parlé - est à présent terminé.
Pour des questions d'encombrement, de poids et de coût, ce film a été tourné en 5D et 7D accessoirisés.

En prépa, j'avais insisté sur le fait que le codec H.264 ne permettait qu'une intervention limitée à l'étalonnage. C'est la seule vraie contrainte des formats "amateur": il est impératif de savoir à l'avance dans quelle direction stylistique on compte aller en fin de chaîne.

La réalisatrice m'avait donné des directives et des références réalistes. 
Pendant le tournage j'ai donc éclairé et cadré réaliste.

Une fois le montage terminé, arrive le temps de l'étalonnage. Et comme ça arrive souvent, le film ayant "mûri", les direction stylistiques ont changé: la réalisatrice demande que les images évoquent un conte.

Heureusement j'avais opté pour des ISO très prudents (autour des 100) qui conféraient aux noirs une certaine finesse de trame. 
Avec l'étalonneur nous avons pu concrétiser les désirs de la réalisatrice en suivant quelques principes stylistiques des contes: couleurs plutôt saturées, contrastes (en luma et en chroma) expressionnistes, recours aux couleurs complémentaires, etc.

Certains plans avaient déjà un aspect un peu stylisé, et se prêtaient à une colo radicale. Par exemple dans ces deux séquences d'aube, qui étaient à l'origine grises et peu contrastées, on a pu jouer avec des turquoise et des contrastes appuyés, tout en gardant du "noir détail".

Le film s'envole actuellement vers les comités de sélection des grands festivals.

Titre: Chasse à l'âne de Maria Nicollier
Etalonnage: Grading Room
Logiciel: Da Vinci Resolve
Etalonneur: Robin Erard

02 mars 2011

Palette chromatique des films en un clin d'oeil

Matrix © 20th Century Fox


Le site Moviebarcode propose de résumer la palette chromatique de films connus (ci-dessus, celle de "Matrix") en tirant de chaque plan ses dominantes.
Pas besoin de commentaire supplémentaire, si ce n'est la constatation que les films occidentaux sont relativement monochromatiques par rapport aux films asiatiques. Ci-dessous, "Hero".

Hero © Beijing New Picture Film Co.

28 février 2011

Oscar 2011 Meilleure Photo: Inception

WINNER: Wally Pfister (Inception)
Matthew Libatique (Black Swan)
Danny Cohen (The King's Speech)
Jeff Cronenweth (The Social Network)
Roger Deakins (True Grit)

Un choix bizarre, mais sans doute une consolation pour un film qui n'a reçu aucune récompense majeure.
Content aussi que l'imposture "Black Swan" ait pris fin, et qu'un petit film anglais remette les têtes à l'endroit.

25 février 2011

La parole en images: "Le Discours d'un Roi"



L'un des aspects les plus attachants de ce film ce sont ses images, signées Danny Cohen. Ce chef op anglais - que j'avais découvert sur quelques épisodes de la minisérie "John Adams" - fait beaucoup parler de lui depuis qu'il est nommé pour l'Oscar de la meilleure photo pour "Le discours d'un roi".  Un outsider beaucoup plus intéressant qu'il n'y paraît à première vue. En tout cas un vrai artisan.

A première vue en effet, si quelque chose saute aux yeux dans ce film, ce sont ses cadrages audacieux (ultra grands angles et décentrements "autistes") plutôt que sa lumière. Danny avait déjà recouru aux très courtes focales dans John Adams, et c'était parfaitement réussi. Pas évident de placer un acteur à 30 ou 60 centimètres d'un très grand angle.

"There always was a degree of trust on set, and we never wanted to shoot them in an unflattering way. It came down to fitting the right lens with the right actor so that we could put the audience right in front of their face. The whole film is about language and not being able to speak, and Tom wanted that intimacy, to pull the audience into the story. It's as if you can feel Colin's breath on your face."

"What's great about Master Primes is they have an insane range of lenses, from 10, 14, 16, 18, 21, 25, 27, 33—a huge spread, which gives you a good choice. What's peculiar is that even though the jump in the lens size is 3 millimeters, just by having that degree of choice, it can change the complete angle of view and how the face films."


Ces courtes focales ont également servi dans les plans généraux d'extérieurs:



Mais une vision plus attentive du film permet de détecter des finesses d'éclairage qui donnent une vraie personnalité aux images.


Cet antichambre obscur donne la gamme chromatique du décor complet: jaune pâle et vert. Notez que ni le visage ni le sol ne semblent fortement affectés par les vitres vertes. Cette touche verte - il fallait oser - empêche ces images de sombrer dans la banalité, ou le réalisme stérile.


Lorsque la porte s'ouvre, les raccords chromatiques sont déjà en place: verrière verte et luminaires jaune pâle. Les grands angles en mouvement ajoutent une certaine étrangeté aux images. On pense parfois à du Welles ("Le Procès").




Traitement de faveur pour le personnage féminin: même décor, mais la caméra passe en focale moyenne.


Ces verrières vertes sont décidément étranges, et révèlent que le maître des lieux est sans doute un original. Ce qui se vérifie rapidement. Une couleur qu'on retrouvera plus tard dans le film, lors de la longue séquence dans l'abbaye de Westminster.
Ce cadrage très frontal peut faire penser à du théâtre filmé. Mais les séquences qui se passent dans ce décor sont tellement bien découpées qu'on en oublie cet aspect.


Ces plans généraux qui respirent révèlent un système d'éclairage inhabituel.

"All the lights were outside of the room, and I kind of liked shooting that way, particularly because it also gave the actors a sense of added freedom. We weren't pinning them down amongst a forest of lights; it was just really the camera and the operators with them in the room."



Contrairement à ses dires, sur les gros plans féminins, Danny a visiblement ajouté des lumières autour de la caméra. Le key light haut placé ne peut pas provenir de la fenêtre. De plus il est diffusé, et adouci par un fill qui ajoute une petite touche de vie dans les yeux.



Mais ce qu'on retiendra surtout du film, ce sont les décadrages, qui laissent des vides étranges autour des personnages, et contribuent à entretenir cette atmosphère décalée.




L'équipe image au grand complet. Bonne chance à eux pour les Oscars!


Interview tirée de Studio Daily online.

22 février 2011

La question du reflet du wind-up

La voiture et le ballon éclairant. Un plan (sans reflet de wind-up) du "Revolver" de Guy Ritchie (2005)



Pendant une prise, ça commence souvent comme une petite agitation autour du combo. Dès le "coupez", c'est l'effervescence: "On voit le reflet du wind-up!" Tous les regards se tournent vers le Chef op ou le Gaffer. Qui se dirigent vers le moniteur pour voir la prise. Une jolie prise: l'actrice était parfaite et le mouvement de caméra très juste. 
Dans son coin, l'ingé son annonce à qui veut bien l'écouter que cette prise était de loin la meilleure. Mais autour du combo, personne ne l'écoute. A la fin du plan, juste avant que la comédienne ne quitte le champ, on voit... 
Quelqu'un appuie sur "pause".
- Là!
- Quoi?
- Cette ligne verticale grise.
- ...
La scripte est péremptoire:
- C'est le reflet du wind-up* dans l'armoire.
- Oui et alors? C'est une ligne parallèle à la porte de l'armoire, ça pourrait être n'importe quoi dans la pièce.
- En l'occurrence, c'est le wind-up. Faut le bouger.

Le réalisateur, décontenancé par toute cette agitation, se range à l'avis de la scripte. Le premier assistant me demande alors, inquiet, "Combien de temps?"

La question que j'aborde dans ce post est plutôt: "Faut-il VRAIMENT bouger ce wind-up?"
Faut-il impérativement éliminer tous les reflets, ombres et brillances (du matériel ou de l'équipe) qui apparaissent à l'image, au risque de perdre du temps, de rater un moment magique, de compliquer l'install', ou de déconcentrer les acteurs?

Jusqu'à récemment, ma réponse était toujours "oui". Sans même réfléchir. Même si ça impliquait cinq minutes de modifs pour préserver, envers et contre tout, le climat de la séquence.

Comme je cherche la simplicité, chacune des sources que j'installe est cruciale. Sa puissance, son emplacement, son pointage, ses accessoires, tout est réfléchi en fonction des contraintes et du rendu final.
Lorsque mon équipe place une source, je fais bien évidemment un check de tous les reflets et ombres portées qu'elle implique, en fonction du cadre. Si je choisis d'assumer un reflet, c'est que je juge qu'il ne sera perceptible que par des gens de cinéma.
Quel spectateur pointe les lunettes de soleil de DiCaprio en s'écriant: "Reflet de Chimera!"?

Au cinéma, je ne suis pas du genre à relever avec un sourire moqueur les faux raccords et le matériel qui traîne dans le champ. Je laisse ça aux spécialistes en Goofs qui listent tout ça avec une ténacité effrayante dans les fiches de l'IMDB. 

Mais mon oeil détecte - c'est plus fort que moi - les ombres, marques, reflets et traces qui révèlent l'équipe et le matériel mobilisés pendant un plan. Et le record en matière de traces visibles, ceux qui semblent se ficher comme d'une guigne du reflet de Chimera, ce ne sont ni les Français, ni les Belges ou les Sud-Coréens. Ce sont les Nord-Américains. Dans les films à budgets pharaoniques. Des films qui se tournent sur 4 mois ou plus, avec des équipes de centaines de personnes hyper-spécialisées, attentives aux moindres détails. Des films où l'on s'imagine que le reflet d'un wind-up sur une armoire serait jugé comme une faute grave, passible de la Cour Martiale.

Dans "Transformers - Revenge of the Fallen", un film budgeté à 200 mio de dollars, les ombres caméra sont légion. Et pendant une conversation téléphonique entre Sam et sa copine, on voit clairement un grand projecteur Fresnel sur son pied dans la chambre de Sam.
Ne me dites pas que personne ne l'a vu sur les 4 ou 5 moniteurs de contrôle du plateau. S'est-il trouvé quelqu'un pour pointer le moniteur, faire une remarque et stopper le tournage? Bien évidemment, non. Pourquoi? Parce que chez les pros, chacun assume ses responsabilités.

Et vous, aviez-vous détecté ce gros Fresnel dans la chambre de Sam? Il y a de fortes chances que non.
Je vous l'accorde, "Transformers 2" n'est pas un chef-d'oeuvre mais ça n'est pas le sujet. C'est un film qui a réuni sur son plateau plus de 500 des meilleurs techniciens de Hollywood.

Alors, au risque de passer pour un chef op psycho-rigide et non professionnel, la prochaine fois qu'on me demandera de virer un reflet que je juge acceptable, je réfléchirai avant de lancer des instructions. Et je répondrai sans doute, le plus calmement possible, "Non".

Et vous, quelle est votre opinion sur le sujet?

________

Pour synthétiser: c'est clair que ça pose la question du perfectionnisme, qui est un défaut pour certains (la Prod, le Premier) et une qualité pour d'autres (la Réa). Il faut trouver un équilibre, et c'est justement en laissant tomber les détails que le spectateur ne verra pas.

* Un wind-up est un trépied métallique massif, qui se déploie à l'aide d'une manivelle. Une fois chargé et déployé, il est difficile à déplacer.
Je comprend le regard inquiet du Premier Assistant.


21 février 2011

Deakins, pour le plaisir



Cette année, l'Oscar sera pour lui. Passage intéressant dès 6:00.
Pour ceux qui lisent cet article sur FB, voici le lien vers le film: http://youtu.be/5hzlDmlE0wA

Le trailer ci-dessous est mieux étalonné que la bande-annonce d'Apple. Pour mieux savourer les images, coupez le son.

17 février 2011

CRLS (Cine Reflect Lighting System) en action



Le système de réflecteurs popularisé par le chef op autrichien Christian Berger (pressenti pour l'Oscar 2010 avec Le Ruban Blanc) est ici pour la première fois exposé sous toutes les coutures.
Le film est froidement démonstratif et peu engageant, mais je pense que ça vous intéressera de démystifier ce système dont beaucoup de gens vantent les mérites sans l'avoir testé.
On en voit les avantages, mais on devine aussi ses inconvénients.

08 février 2011

Cesars 2011 - nominations

Puisque j'ai mentionné les Oscars, voici les nominations au Cesar de la meilleure photo.
Perso je vote pour Edelman, mais je n'ai pas vu le Tavernier.

Christophe Beaucarne, AFC, SBC, pour Tournée de Mathieu Amalric
Caroline Champetier, AFC, pour Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois
Pawel Edelman pour The Ghost Writer de Roman Polanski
Bruno de Keyzer, BSC, pour La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier
Guillaume Schiffman, AFC, pour Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar

Résultat le 25 février.

25 janvier 2011

Oscar 2011 meilleure photo - les films en lice

Les nominations pour les Academy Awards 2011:

“Black Swan” Matthew Libatique
“Inception” Wally Pfister
“The King's Speech” Danny Cohen
“The Social Network” Jeff Cronenweth
“True Grit” Roger Deakins

Libatique semble avoir fait un joli travail sur Black Swan, mais Deakins reste mon favori. Je ne vois rien de spécial à la photo de Social Network - il y a même des erreurs d'étalonnage assez voyantes - ni à celle d'Inception. 

Mais c'est juste mon avis perso. Quel est le vôtre?

True Grit, photographié par Roger Deakins © Paramount Pictures

17 janvier 2011

Buried - lumières dans un cercueil


Question: comment fait-on pour éclairer un film qui se passe entièrement dans un cercueil, à deux mètres sous terre?
Réponse: on munit le personnage d'un maximum de sources lumineuses, tout en restant vraisemblable. 

Le scénariste et le réalisateur du film "Buried" ont du penser très tôt au problème de la lumière, pour l'intégrer d'une manière fluide au récit. Le résultat est très convaincant, et je pense que jamais le public ne sent les sources additionnelles. Il y en a pourtant, mais toujours justifiées par la lumière activée par le personnage. 
Réussir un tel pari passe aussi par le comédien, qui doit comprendre les besoins du chef op et justifier des mouvements parfois bizarres pour rester éclairé.

Si je n'oublie rien, voici la panoplie de l'enterré vivant:
- une lampe de poche (avec faux contact et filtre rouge amovible pour exacerber les effets dramatiques). Dominante jaune ou rouge.
- un Zippo, dominante jaune.
- un téléphone cellulaire à large écran, dominante bleue prononcée.
- deux bâtons lumineux, dominante verte.
- une petite bouteille d'alcool, pour provoquer un mini incendie. Dominante jaune.

La combinaison de ces sources (en alternance ou en parallèle) a donné au chef op Eduard Grau la possibilité de graduer ses effets avec beaucoup de finesse. Ces lumières, toujours mobiles et couplées à des cadres originaux et une profondeur de champ très réduite, modèlent le comédien, accentuent la tension et rendent ses émotions lisibles, et palpables.
Les contrastes de couleurs, entre les dominantes froides et chaudes, amènent une belle variété aux images et contribuent à balayer toute lassitude visuelle.

Et puis bien sûr il y a les ténèbres. Un vrai noir total, qui participe à l'épouvantable sentiment de claustrophobie. Un nouvel exemple de ce que l'absence de lumière peut receler d'expressivité, en laissant le spectateur tout seul, face à son imaginaire. 

Toutes les photos sont "cliquables", pour les voir en grand.

Ryan Reynolds en flagrant délit d'auto-éclairage. Le rebond contre les parois du cercueil adoucit le faisceau.
Un moment plus "mental", soit-disant généré par la lampe de poche. A ce moment du récit, un tel éclairage est impossible, mais l'état du personnage fait "passer" cette entorse à la vraisemblance.
Justifiée par l'écran du mobile, la lumière additionnelle sur le visage - presque de face - est en l'occurrence aussi audacieuse qu'efficace. 
Cette jolie source, douce et non aveuglante, a aussi le mérite de nous sortir un moment de la dominante jaune de la lumière du Zippo.

Dans certains plans, les parois distantes du cercueil sont éclairées par d'autres sources, mais les raccords de couleur et de direction rendent la chose invisible.
Lorsque la lumière s'éloigne du cadre, le personnage semble plonger dans des doutes effrayants. 
Les reflets sur le métal de la lampe signalent une autre lumière. Sans doute un fill.

Autre moment de solitude.

Réalisateur - Rodrigo Cortés
Directeur Photo - Eduard Grau
Scénariste - Chris Sparling