Lors de son récent passage sur "The Go Creative Show", Jarin Blaschke, le Directeur Photo de "Nosferatu", a partagé des réflexions sur les choix visuels et techniques derrière le film.
Je vous en livre quelques extraits en français, pour vous donner envie de voir l'interview -- et surtout le film!
Jarin Blaschke : Les premières discussions remontent à neuf ans. Je crois avoir lu la première version du scénario qu'il était prêt à montrer. Robert prépare toujours très tôt un lookbook, parfois même avant le scénario. Dès le début, il était clair que ce ne serait pas en noir et blanc et qu'on ne chercherait pas à imiter l'original. Pour Robert, il était essentiel de dépeindre la période 1838 à travers le regard de cette culture. L'expressionnisme n'existait pas encore, donc ça n'aurait pas eu de sens. Nous voulions un film romantique et luxuriant.
BC : La lumière lunaire semble être l'élément central du film, avec une texture très particulière qui varie selon les scènes.
JB : Depuis The Witch, notre approche a beaucoup évolué. Sur ce premier film, nous avions étalonné sur moniteur en une semaine, visant un look très gris, sans hautes lumières. Mais en salle, avec la projection numérique qui est naturellement laiteuse, on perdait beaucoup de détails. Cette expérience m'a appris que dans les scènes sombres, il faut impérativement du contraste et des formes graphiquement dures. Pour Nosferatu, nous avons poussé ce concept à l'extrême. J'ai travaillé avec des sources de lumière aussi ponctuelles que possible pour obtenir les ombres les plus nettes, presque comme dans une lithographie.
Nous utilisons la même recette que pour The Northman : un filtre spécial qui coupe toutes les longueurs d'onde après 570 nanomètres, soit après le vert. C'est un choix un peu scientifique pour un film très subjectif, mais l'œil ne perçoit pas ces couleurs la nuit. Pour Nosferatu, Robert voulait conserver un peu de rouge pour le sang, ce qui a nécessité le développement d'un nouveau filtre. La fabrication a pris un mois, et il est arrivé littéralement le premier jour du tournage au château.
BC : Comment gériez-vous la différence entre les intérieurs et les extérieurs nuit ?
JB : J'ai développé des ratios d'éclairage spécifiques. En intérieur, ma logique était que la lumière lunaire devait être légèrement plus brillante - environ un demi-stop à deux tiers de stop - car l'œil s'adapte différemment à l'espace confiné. Cette lumière semble subjectivement plus intense quand elle n'éclaire qu'une portion de la pièce. Pour les sources visibles comme les lampes, j'ajoute une boule chinoise derrière la source principale, réglée trois stops plus bas. Si la lampe est à T2.8, la boule chinoise est à T1. C'est très subtil mais ça apporte une douceur qui arrondit l'image.
BC : Le film semble avoir été largement tourné en studio ?
JB : Environ 80% en studio. Les principales scènes en décors naturels étaient la cour du château d'Orlok - seulement trois plans mais qui ont nécessité la construction d'une porte monumentale et des effets spéciaux - et la maison d'Orlok à Visburg. Cette dernière était particulièrement difficile car il fallait éclairer à travers les fenêtres depuis une hauteur de 10 mètres. Le résultat est peut-être plus stark que ce que j'aurais pu faire en studio, mais ça fonctionne bien pour la demeure d'Orlok.
BC : Les cadrages semblent très précis et réfléchis.
JB : Robert privilégie une approche très classique, presque Renaissance. Tout est symétrique. Nous utilisons principalement le 35mm - environ 85% du film - avec une gamme très restreinte : rien de plus large qu'un 27mm ni plus long qu'un 40mm. Le 35mm offre juste assez de champ pour chorégraphier une scène sans coupes tout en gardant le contexte. Les décors sont d'ailleurs construits spécifiquement pour cette focale. Ce n'est pas un film à la composition moderniste ou au grand angle. Nous recherchons une certaine platitude, comme dans une illustration. C'est vraiment un film "storybook".
BC : Les mouvements de caméra alternent entre classicisme et moments plus audacieux...
JB : La caméra devient parfois un personnage, notamment dans les scènes surnaturelles où elle représente la présence d'Orlok comme maître des lieux. Par exemple, dans la séquence de la crypte, nous quittons délibérément le personnage qui descend les escaliers pour faire un panoramique mécanique vers le sarcophage. La caméra montre ce qui va inévitablement arriver. C'est comme si elle disait "Je suis aux commandes" lorsque vous êtes sous l'emprise de cette force toute-puissante.
Nous jouons aussi beaucoup avec le timing des mouvements. Un panoramique peut être frustrant de lenteur ou s'arrêter brutalement. Même quand le mouvement est simple, son exécution crée une tension en ne suivant pas les attentes habituelles. L'absence de coupe pendant ces longs plans augmente naturellement la tension.
BC : Avez-vous une scène préférée ?
JB : La séquence des carrefours est probablement celle dont je suis le plus fier. C'était un travail d'éclairage considérable, tourné sur deux nuits à cause du vent. Les extérieurs nuit sont toujours compliqués : équipement lourd, sources éloignées qui bougent... C'est particulièrement frustrant quand vous réglez parfaitement une lumière sur nacelle, puis devez la redescendre avec l'opérateur et la remonter - elle n'est jamais exactement au même endroit. Mais le résultat correspond exactement à ma vision.
Cette séquence marque aussi le moment où le film bascule dans le surnaturel. Après un classique champ-contrechamp, nous suivons le carrosse dans une série de plans avec des transitions par le noir, comme une sorte de grande roue visuelle qui nous amène jusqu'au château. C'était passionnant à concevoir.
L'interview complète est disponible sur la chaîne YouTube Go Creative Show
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