18 avril 2012

Eclairage d'un visage - le Virtual Lighting Studio

Sur certains tournages, mes doublures lumière sont des têtes de mannequins que je dispose à la hauteur des comédiens.

Eclairer un visage est une des choses les plus délicates.
Les paramètres sont nombreux: morphologie, ossature, sexe, grain et dominante de la peau, "défauts" à cacher et "qualités" à révéler, climat de la scène, temps à disposition, patience des acteurs, etc.
A cela vient s'ajouter le facteur psychologique - la relation humaine entre un chef op et un comédien.

Mais si l'on en reste à la simple physionomie, un visage est une sorte de cylindre mat, plus ou moins clair, plus ou moins "accidenté" dans lequel sont enfoncées deux sphères réfléchissantes.
En général on n'éclaire pas de la même manière des surfaces mates et des surfaces brillantes. Les nombreux éclairages doux, nécessaires à "rajeunir" ou embellir certains visages, se voient en réflexion dans les yeux et rendent le regard un peu flou - l'idéal étant qu'une seule lumière, en général le keylight, se reflète dans les yeux.

Sur l'affiche d'Iron Lady, on pouvait clairement distinguer huit sources différentes dans les yeux de Meryl Streep:



Doser les lumières qui entourent un visage relève bien souvent de la haute voltige, et certains chefs op sont connus pour être particulièrement compétents dans ce domaine.

Il existe quelques livres sur le sujet, mais rien ne vaut la pratique, ou du moins une interaction immédiate entre le choix des sources, leur positionnement, puissance, taille et couleur, et le résultat sur un sujet précis.

C'est désormais chose possible grâce à Olivier Prat, qui a développé un site online dédié à l'éclairage d'un visage, le Virtual Lighting Studio.
Doté pour l'instant d'un "modèle" à la mine un rien patibulaire, il permet d'allumer et d'éteindre des sources, de les positionner, de les colorer et diffuser, et d'en choisir la puissance. Puis de mémoriser les looks dans la marge de droite.

Le modèle est pour l'instant chauve et blanc.
Diverses pigmentations et pilosités sont à l'étude.
Cet outil vous permettra d'acquérir les bases et de tester rapidement quelques hypothèses audacieuses, comme des Fill colorés par exemple, même si l'éclairage de cinéma mobilise en réalité bien plus d'outils (mamas, drapeaux, scrims, réflecteurs, lentilles, etc.).


Vous pouvez également afficher un plan qui vous montre la disposition de vos sources autour du visage.



Le VLS, c'est par ici: http://www.zvork.fr/vls/

Merci à Ludovic Matthey pour le lien, et à Olivier Prat pour ce site qui deviendra rapidement indispensable.

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J'ai voulu aller un peu plus loin en demandant quelques précisions à Olivier Prat:

"VLS est né de la volonté de démontrer mon savoir faire dans le domaine de l'image et de mon goût pour la photo et la lumière combiné avec une solution technologique simple, que j'avais déjà développée il y a quelques années avec un collègue.
La volonté est vraiment de fournir un outil gratuit et simple à la communauté avant de peut être pouvoir en retirer un profit sous une autre forme. 
Il a été inspiré par ces logiciels d'édition de layout de lumière avec vue de dessus schématique et de quelques sites didactiques sur la lumière qui montrent les effets de certains types d'éclairage.
Tout ça est un peu vague car il y a un peu de réflexion et beaucoup d'inspirations extérieures et d'instinct dans cette idée :-) Et comme souvent, c'est aussi car la technologie le permet depuis peu de temps.
Je suis vraiment ravi que les gens se l'accaparent."

"Rien ne remplace l'interactivité pour ce qui est de l'apprentissage. Le mieux étant bien sur de manipuler physiquement les choses mais cela demande plus de moyens et de temps. 
Il y a d'ailleurs un organisme de formation aux métiers des médias situé en Australie qui m'a contacté pour savoir s'il pouvait utiliser l'outil dans le cadre de leur formation. Donc j'ai l'impression que ça répond à un besoin de ce côté-ci, ce qui est vraiment encourageant."

13 avril 2012

Couleurs ou subtilité: un dilemme européen?



C'est en tombant sur ce beau mini docu slowmo sur le festival indien des couleurs que j'ai eu envie d'aborder ce sujet avec vous.

Je sors d'un tournage d'une fiction où les couleurs jouaient un rôle important. Je me suis posé beaucoup de questions sur le bien-fondé de certains de mes choix - avant, pendant et après le tournage.

Pas évident, en Europe, de jouer avec les couleurs de façon décomplexée. A part certains chefs op espagnols (Juan Ruiz Anchia) ou polonais (Slawomir Idziak), peu de confrères prennent le parti de jouer avec les couleurs dans toute leur expressivité. Vittorio Storaro explore depuis longtemps ce territoire, mais il évolue sur des plateaux où ses choix, du fait de sa notoriété, ne prêtent plus à controverse. 

Nos réflexes et notre culture de l'image nous poussent à la prudence. Au point que je dois me méfier de mes propres réactions face aux rushes. Je me surprends à penser qu'il serait sans doute "de bon goût" de désaturer en post. 

En attendant d'autres captures d'écran, voici deux images:

Tirée de "La Double vie de Véronique"chefopé par Idziak, c'était la référence couleur pour quelques séquences du film. Le parti-pris, choisi avec le réalisateur, était d'allouer des couleurs plutôt froides au décor et des couleurs chaudes aux personnages. 

Et voici une image tirée des rushes. La séquence comporte également des plans de face, qui raccordent avec celui-ci:

Les extérieurs sont plus ou moins intensément verts, en fonction de l'état mental du personnage.
















L'histoire tourne autour d'une fille très possessive envers sa mère. C'est un film plutôt "mental", où les choses sont vues à travers le prisme déformant de la fille.

En fonction des choix d'étalonnage, les couleurs pourraient varier légèrement, sans pour autant changer d'intensité. Par exemple, moins de jaune dans certains verts pour éviter une saturation visuelle:

Photo de contrôle en vue de référence pour l'étalonnage.
La palette chromatique était la suivante: 
- Lime et Lavender pour les décors; 
- Berry Blue pour tout ce qui était rocheux;
- Et deux ambres pour les personnages: Medium Amber pour la fille, et Dark Amber pour sa mère.

Les couleurs étaient souvent combinées par paires. Elles ont été choisies pour sembler harmonieuses en combinaisons par deux ou trois.

Certaines séquences comportaient des blancs (neutres), souvent dans les contre-jours, pour stabiliser la perception des couleurs, en fournissant une base de référence. 

Photo de plateau prise avec un iPhone.
La comédienne descendait la pente, éclairée en contre-jour.
La source derrière le pont pouvait être un éclairage urbain.
Du moins c'est l'histoire que je me suis racontée pour le justifier.
De jour, donner une couleur au ciel peut s'avérer compliqué. 
Dans quelques séquences, pour verdir les extérieurs, je déréglais les verts de la caméra, et je les compensais sur les visages en ajoutant un Full Minus Green sur les sources. Ca fonctionnait très bien.

Et vous: quelle est votre degré d'audace en matière de couleurs?

12 avril 2012

Coup de blues chez les chefs op

Le passage de l'argentique au numérique a dépossédé les chefs op d'une bonne partie des prérogatives sur les images qu'ils créent pendant le tournage.

Une dizaine d'entre eux ont confié leurs angoisses professionnelles à Madelyn Most lors du dernier Camerimage. Les mots "danger", "compromission", "peur" sont plus nombreux que "contrôle" ou "progrès".

Stephen Goldblatt:
"Whether we love film for the romance, the texture, the emotion, IT’S OVER."
"It doesn’t have to be a bleak future, we can also influence it, but you must speak up or expire."

Le mot de la fin (Oliver Stapleton) est plus fataliste:
"The power will go out of the eye of the cinematographer and into the hands of ten other people who think they have something to say about the way the picture looks. 
It is The End of an era, but it’s not a reason to jump off a cliff."

Le site de l'AFC a traduit certains de leur propos: http://goo.gl/MCj26

Le PDF complet, en anglais: http://goo.gl/qLnO4