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Couleurs, contrastes, noir détail, textures: à quel moment faut-il figer nos options? (© Midjourney et moi 😇) |
On me pose souvent la question: vaut-il mieux figer certaines décisions artistiques importantes pendant le tournage, ou se laisser un maximum d'options en post-prod?
La seconde édition d'Euro Cine Expo s'est tenue du 30 juin au 1er juillet 2023 à Munich. Elle a permis à plusieurs directeurs de la photographie, étalonneurs et représentants de fabricants de caméras de participer à une table ronde organisée par le comité technique d'IMAGO. Celle-ci était dédiée au débat sur le choix d'enregistrer ou non les décisions artistiques sur le plateau ou en postproduction.
Les participants ont partagé leurs réflexions sur ce sujet important. Quels sont les avantages et inconvénients de chaque méthode ?
Un article du Cinematography World de sept/oct 23 (lien en fin de post) présente sur trois pages les opinions de onze participants, dont pour la France celle de Pascale Marin, AFC. Elle en résume bien les enjeux:
« Personnellement, sur les films sur lesquels je travaille aujourd'hui, ce sont généralement les réalisateurs qui ont le dernier mot sur les décisions artistiques. Mais dans quelle mesure sont-ils inflexibles ? Mesurent-ils bien les répercussions de leurs choix ou de leurs changements d'avis ?
C'est à moi de le découvrir. C'est à moi de les aider à concrétiser leurs idées jusqu'au bout, voire plus loin, mais pas de les empêcher de revenir en arrière si cela fait partie de leur processus créatif. Et tout cela dans un temps et un budget donnés, sans compromettre le travail des autres départements. Par conséquent, plus que tout, c'est une question de communication, sincère et éclairée.»
Roberto Schaefer AIC ASC ITC soulève un point important quant au contrôle des images:
« En tant que directeur de la photographie, j'estime qu'il est en fait constructif de figer certains paramètres pendant le tournage. Cela aide à construire l'image que nous voulons pour le rendu final, même si ce n'est pas complètement l'image que nous mettrons au point lors de l'étalonnage numérique — si nous pouvons y assister. De nombreux éléments peuvent empêcher le directeur de la photo d'être présent à l'étalonnage - travail, distance et non-coopération des producteurs.
Les Looks ARRI 35 intégrées dans les fichiers OCN sont utiles pour nous afin de contrôler nos images finales. Si les rendus étaient purement dans les métadonnées, rien ne garantirait qu'ils seraient appliqués en postproduction.»
La discussion se poursuivra lors d'une seconde table ronde à Camerimage 2023, avec le soutien d'Euro Cine Expo et Cinematography World.
SUCCESSION DES DÉCISIONS:
PRÉPARATION
Style, références, moodboards, déclarations d'intentions, etc.
PLATEAU
Éclairage
Découpage
Placement de la caméra
Maquillage, etc.
OPTIQUES
Types d'objectifs
Filtres optiques
Objectif sphérique / anamorphique
CAMÉRA
Format d'image
Résolution
Type d'enregistrement : RAW / Codec
Courbes gamma
Contrôle de la netteté
Contrôle de la texture : débruitage / bruitage
POSTPRODUCTION
Dématriçage
Contrôle de la netteté (RVB, détails, et floutage de zones)
Étalonnage
Courbes tonalité ou "gamma"
Émulation "film"
Ré-éclairage (Relighting)
Recadrage, redimensionnement
Outils de contrôle de texture
Débruitage / bruitage
Distorsion / déformation
Stabilisation
Pour simplifier la prise en compte des arguments pour et contre, je les ai synthétisés en une liste:
Décisions artistiques sur le plateau
Avantages :
- Retour visuel immédiat : les directeurs de la photographie peuvent voir les effets de leurs décisions pendant le tournage, permettant des ajustements rapides.
- Contrôle créatif : permet un contrôle précis de facteurs tels que les couleurs, la texture, la netteté et le bruit pendant le tournage.
- Préservation de l'intention : assure que le rendu souhaité est capturé tel qu'imaginé, réduisant le risque de modifications en postproduction.
- Efficacité : économise du temps et des ressources en finalisant certains éléments artistiques durant la prise de vues.
- Personnalisation : certaines caméras proposent des options pour personnaliser les textures et les ambiances, offrant ainsi de la flexibilité.
Inconvénients :
- Moins de flexibilité : capacité limitée à apporter des modifications majeures après la prise de vues, ce qui peut poser problème en cas de changement de direction créative.
- Défis techniques : nécessite que les directeurs de la photographie aient une compréhension approfondie des capacités et des réglages de la caméra.
- Intégration dans le flux de travail : peut ne pas correspondre au flux de travail en postproduction, ce qui peut causer des problèmes dans les projets collaboratifs.
Décisions artistiques en postproduction
Avantages :
- Flexibilité : offre la possibilité d'apporter des modifications importantes à l'image lors de la postproduction, ce qui permet de s'adapter à des changements de direction créative.
- Collaboration : Permet les contributions d'étalonneurs et d'autres spécialistes pour peaufiner le rendu final.
- Atténuation des risques : fournit une sécurité pour les problèmes inattendus pendant le tournage, car des ajustements peuvent être apportés ultérieurement.
- Variété : plusieurs options créatives peuvent être explorées sans s'engager dans un rendu spécifique durant le tournage.
Inconvénients :
- Chronophage : les ajustements en postproduction peuvent prendre beaucoup de temps, retardant le produit final.
- Coût : Des dépenses supplémentaires peuvent être engagées pour les ajustements en postproduction.
- Perte de contrôle : les directeurs de la photographie peuvent avoir moins de contrôle direct sur le rendu final, en fonction de la collaboration.
- Complexité du flux de travail : coordonner les modifications en postproduction avec d'autres départements peut être difficile.
J'aimerais ajouter que pour les tournages qui n'ont accès qu'à des caméras compressant le signal image, il est préférable d'enregistrer des images au plus près du résultat final escompté plutôt que de compter sur la postproduction. Figer des choix sur le plateau (à propos d'une dominante couleur, par exemple, ou du réglage du rendu des Blancs par "l'épaule" - KNEE en anglais - de la courbe) permet à la caméra de maximiser le rendu d'image dans son domaine réduit de compétence. Et évite de révéler les défauts inhérents à ce type d'images lors des corrections ultérieures.
Les participants au panel:
Aleksej Berkovic RGC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Suny Behar - directeur de la photographie/réalisateur (HBO Camera Assessments Series)
Stefan Grandinetti BVK - directeur de la photographie et professeur de cinématographie
Daniel Listh - Sony, spécialiste des solutions d'acquisition de contenu
Pascale Marin AFC - directrice de la photographie
Dirk Meier BVK CSI - étalonneur senior et membre titulaire d'ITC
Philippe Ros AFC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Roberto Schaefer AIC ASC - directeur de la photographie et membre titulaire d'ITC
Tamara Seybold - ARRI, responsable scientifique de l'image et membre d'entreprise d'ITC
Loren Simons - Red Digital Cinema, conseiller principal en technologie cinématographique
Marc Shipman-Mueller - ARRI, chef de produit senior pour les systèmes de caméra
David Stump ASC MITC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Ari Wegner ACS ASC - directrice de la photographie
Rauno Ronkainen FSC - directeur de la photographie et professeur de cinématographie à l'Université Aalto, Département du cinéma et de l'école des arts
https://www.cinematography.world/cw-017-digital/