25 septembre 2007

SOY CUBA: des images miraculeuses



Depuis que je l'ai découvert il y a quelques années, je revois régulièrement Soy Cuba, ce film de Mikhail Kalatozov photographié par Sergei Urusevski, l'un des plus grands chefs opérateurs du Noir et Blanc.



Les lumières et les cadres très expressionnistes mettent parfaitement en valeur ce poème à la gloire de la liberté. Soy Cuba était censé documenter la révolution castriste, mais il a débordé son sujet et a été "oublié" pendant une bonne trentaine d'années. Scorsese et Coppola sont parmi ceux qui ont remis ce film en circulation.

Les mouvements de caméra virtuosissimes, les cieux noirs griffés de nuages, les flammes qui dévorent un champ de blé en plein midi, les visages hantés des protagonistes, chaque image s'imprime immédiatement dans la mémoire du spectateur.


Procession funèbre en l'honneur d'un étudiant. L'un des plans-séquences ébourriffants de Soy Cuba.

Depuis longtemps déjà, les décorateurs et les costumiers soviétiques collaboraient très étroitement avec les directeurs de la photo. Certaines ombres ne sont pas provoquées par la lumière mais peintes dans le décor, un paysan qui se silhouette contre le ciel est entièrement peint en noir, et de nombreux filtres colorés sont utilisés très fréquemment pour éclaircir les couleurs similaires et assombrir les complémentaires.
Je suis en train de voir "Le Mammouth Sibérien", un documentaire de Vincente Ferraz sur le tournage de Soy Cuba. Il confirme quelques intuitions et montre des détails croquignolets, comme les trois spots tungstène tenus en permanence par un électro, en plein jour, tout près des visages des comédiens, pour adoucir les contrastes et, par effet colorimétrique (les spots sont très jaunes), de cuivrer les peaux en faisant ressortir la luminosité des couleurs chaudes. On dirait de la bricole de film d'étudiants mais en Noir et Blanc, c'est somptueux. L'assistant caméra de l'époque confirme l'emploi de négatifs sensibles aux infrarouges pour certaines séquences.

Une belle copie de Soy Cuba (accompagnée de suppléments) est dispo chez MK2 (merci Alain). Le documentaire sur le Making Of est distribué en DVD par Trigon Films.

21 septembre 2007

Coup de coeur: quand Coppola réinventait le cinéma



Un double DVD sort actuellement avec l'un des meilleurs Coppola (c'est aussi l'un de ses préférés), photographié par un Vittorio Storaro d'avant sa période prise de tête. Coppola venait de sortir d'Apocalypse Now et rêvait d'un film entièrement maîtrisé, tourné en studio avec les tous derniers outils technologiques.

En résulte "Coup de coeur" (
One from the Heart) un film qui, tout comme Rumble Fish ou Dracula, semble retrouver ce que le cinéma peut dégager de magie et d'onirisme.
La musique de Tom Waits hante ce film qui connut un échec retentissant à sa sortie, que les connaisseurs se passaient depuis sous le manteau, et qui trouve aujourd'hui un nouveau public.

Les images de Storaro sont restées gravées dans mes rétines depuis la sortie du film, il y a... 25 ans!

Le cadre pour les Nuls



Le site web d'arte reprend les modules pédagogiques diffusés dans son excellent magazine sur les courts-métrages. Ces ateliers font rapidement (et humoristiquement) le tour d'un concept: le clap, le scénario, les formats de projection, etc.
Si celui sur la lumière me laisse un peu sur ma faim, celui sur le cadre est remarquable. Le concept du cadre est à la fois très simple et très complexe. Arriver à le vulgariser en quelques minutes relève du tour de force.
Faites le test avant de voir le module, pour évaluer l'état actuel de vos connaissances. Moi j'ai fait 18 sur 20: le cadre italien, ça ne me disait rien ;-)

http://php.arte-tv.com/court-circuit-off/flash/ateliers/cadre/le_cadre.html

Le magazine du court sur arte: Court-Circuit OFF

16 septembre 2007

Les "maladresses calculées" de Bourne Ultimatum



Oliver Wood, le chef op de Bourne Ultimatum, donne une interview intéressante dans l'avant-dernier numéro d'ICG Magazine.

Ce film est presqu'entièrement cadré en caméra portée, ce qui donne des images un poil trop parkinsoniennes à mon goût (je vous déconseille les premiers rangs de la salle de cinéma, ou alors sous Dramamine).
Les éclairages des scènes intimistes et des scènes d'action semblent presque naturalistes (Wood admet ci-dessous que l'essentiel du film a été éclairé avec un Kinoflo 4 tubes et deux mini-flos). D'autres séquences ont requis tous les plus gros projecteurs dispos en Allemagne, et leurs positions respectives sur les immeubles ont été déterminées grâce à Google Earth (!).

Passages choisis:

To prepare for The Bourne Ultimatum, Wood and Greengrass reviewed the first two films, and took cues from French gangster films of the 1960s starring Alain Delon. Wood also cites The Ipcress File, a 1965 British production directed by Sidney J. Furie and photographed by Otto Heller, as a major inspiration.

The Bourne Ultimatum was a globetrotting project, with major shoots in Berlin, London, Madrid, Morocco, Paris and New York City. As in The Bourne Supremacy, most of the decisions about the look and technique grew out of the handheld aesthetic. The operators created a raw spontaneity by fighting the instinct to create images that were smooth and well composed in the traditional sense.

cadrage

“Working on these movies is sort of an education about how to operate the camera,” says Wood. “Paul told a story about another film he’d been on where they coined a term: ‘reckavic.’ He said they’d collected all the outtakes and material they hadn’t used, and cut it together. Anything that didn’t work or wasn’t quite right, we began to refer to as a reckavic shot, as shorthand for primitive.”

Bref extrait d'un exemple extrême de caméra portée:


lumière

Like the operating, Wood’s approach to lighting was against the book. “It became sort of anti-lighting,” he says. “As soon as it looked beautiful, I would probably get a disparaging remark from the director saying, ‘Oh, very BBC drama.’ Sometimes you’d do something that was absolutely beautiful and everyone would love it and that would be all right, but you never quite knew where you were going to go with things. If I started to light things traditionally, the set started to get that feeling of being lit, which is of course not the right feeling.

“So I began a policy of lighting and then turning off one or two of the lights,” he says. “And in some cases that might be all the lights I’d put in. Sometimes it was more a question of getting the courage up not to light.”

Wood says that he went on a dozen or more tech scouts with New York gaffer Rusty Engels, and planned the lighting for huge night exteriors.

“None of that ever materialized,” he says. “Rusty is a brilliant gaffer with a tremendous track record. He basically ended up lighting this movie with two Mini-Flos and a 4Bank Kino Flo. I had this talent on my crew, but in a funny way, I needed very talented people who were able to work that way.”

Nevertheless, some sequences required massive lighting schemes. For one chase sequence photographed over four nights in Berlin, which was standing in for Moscow, “We must have used every 18K HMI in Germany, which is a lot,” recalls Wood. “We lit at least 20 square blocks around a station and a huge housing complex. We laid snow everywhere and there were lights on every rooftop and down every street. It was probably the biggest lighting setup on the whole shoot.”

Wood scouted the Berlin locations over a weekend. The gaffer on the German leg of the shoot was Ronnie Schwarz. They then collaborated remotely on refining the lighting plan using Google Earth, a virtual globe program that maps the earth using superimposed satellite imagery and aerial photography.

“We could zoom in on three-dimensional images of Berlin, and plant little flags everywhere while discussing it over the telephone,” says Wood. “Over the course of three weeks, we were lighting over the Internet.”

The biggest lighting setup on the New York City leg of the shoot involved a hospital sequence at magic hour. The location was actually a courthouse in downtown Manhattan. The sequence ends on the roof as night has fallen.

“There were an awful lot of scenes, and we needed to make them all late evening,” says Wood. “There was too much to accomplish at actual magic hour, so we lit the inside of the lobby with about a dozen balloon lights. That way, whatever the level was outside, I could balance it inside. We lit all the streetlights and the cars had lights on, and in the end it was quite effective.”

But for the most part, Wood says, his lighting setups were “sketchy.” Production designer Peter Wenham’s work was similarly restrained. “The director generally wanted to shoot in public places,” says Wood. “That makes it difficult to do any major art direction. These movies are about what’s there. The art direction was similar to the cinematography in that regard.”

Digital intermediate timing is planned at Technique in Los Angeles. Wood will collaborate with digital film colorist Stephen Nakamura, with whom he worked on Fantastic Four in 2005.

“I generally use the DI to tighten up the look, and to make scenes consistent,” he says. “We approached this film with the ‘reckavic’ aesthetic, but scenes still need to look like they were shot at the same time, even if they were done two weeks apart. On other films, I’ve used the DI to correct the look, and I’ll probably do something with the flashbacks. But I won’t know what it will be until I’ve done it. But generally, I won’t be creating the look of this film in DI.”

texte intégral: http://www.cameraguild.com/magazine/0708/tc.htm



L'affiche du film est assez étonnante. Elle est en Noir et blanc, et très léchée, alors que le film décline diverses teintes vertes, certes désaturées, et joue à fond la carte du look documentaire. Le seul aspect graphique qui trahit le côté hyperréaliste du film, c'est la définition de la photo de Matt: chacun des pores de sa peau apparaît clairement. C'est saisissant sur les grandes affiches. Et assez représentatif d'un nouveau genre de cinéma, où la haute définition révèle les imperfections et met les stars à nu.

Lumières portugaises

A l'heure des métropoles branchées, Porto ne paye peut-être pas de mine, mais il suffit de parcourir son spacieux aéroport high-tech pour comprendre que cette ville entend désormais soigner son image au niveau international.
J'y ai trouvé quelques dispositifs lumineux intéressants.

A l'aéroport déjà, les luminaires du hall central sont projetés vers le plafond et réfléchis par des plaques métalliques martelées orientées dans diverses directions. Ainsi, à partir d'une seule source, un dispositif éclaire une douzaine d'endroits différents.




La lumière sur les visages n'est pas vraiment douce (on le voit aux ombres relativement nettes) mais elle est beaucoup moins agressive que dans la majorité des aéroports.

Ailleurs en ville, j'ai découvert des lumières peu courantes. Dans le mammoutesque centre commercial Norte Shopping, une boutique d'électronique baptisée Tsunami est toute entière éclairée par un grand cône de lumière diffuse. Les appareils électroniques en sont magnifiés. Les visages des clients bénéficient aussi de ce bain de photons: ils ont l'air sereins.



Dernière impression lumineuse: une plongée sur le parking de mon hôtel: au lieu de recourir à des néons ou à des éclairages zénitaux globaux, l'architecte a préféré ponctuer le lieu de zones très contrastées.

08 septembre 2007

Burning Man - Lumières à Black Rock




 

Le Festival Burning Man a lieu chaque année à Black Rock City dans le Nevada.
C'est le prétexte à des débauches païennes sans retenue, mais aussi à des images où la lumière joue un rôle prépondérant. L'essentiel du festival se passe la nuit, et les artistes - des plus réputés aux plus alternatifs - rivalisent d'imagination.
Je sais que certaines images sont travaillées (longues poses ou filtres) mais on sent bien que cet endroit a quelque chose de spécial.
Ca me donne des envies de Nevada.

Article complet dans l'édition online de Wired.


Ces photos sont tirées de divers endroits du web.

06 septembre 2007

Meilleure caméra HDV pour le kinescopage?

Lucien me pose une question suite à mon post sur ORLOJ:
"je me suis laissé dire que la XL-H1 est la caméra qui se rapprochait le plus d'une caméra pro, en terme d'ergonomie et de réglages. Mais dans le cas d'un kinescopage ne vaudrait-il pas mieux utiliser un format 24p ? avec la panasonic p2 ou la jvc hd200?"

Non, la vitesse de défilement n'a pas d'incidence sur la qualité de la copie 35mm. Parmi les facteurs à mon avis décisifs, dans l'ordre décroissant d'importance:

- le labo de kinescopage (la formation des hommes et la qualité des machines)
- le contrôle de la lumière sur le tournage pour l'ajuster précisément à la sensibilité du capteur (et produire des noirs et des blancs maîtrisés)
- les optiques (précision, pompage, propreté)
- la marque de la caméra

Sur le papier, la Pana P2 est la meilleure, et c'est vrai qu'elle a une belle définition. C'est aussi vrai que certaines caméras simulent le désentrelacement, et d'autres le font vraiment. Mais qu'est-ce qui compte? C'est l'impression finale, forcément subjective, lors de la projection de la première copie 35mm.
Et là, si tu as bien travaillé avant, quelle que soit la marque de la caméra, tu auras un résultat très convaincant.

Ne trouves-tu pas qu'on parle beaucoup technologie (définition, balayage, compression), alors qu'on devrait plutôt se concentrer sur l'art - sur l'âme des images qu'on produit? Mais je m'emballe. Allez: un Xanax et au dodo.

01 septembre 2007

ORLOJ - terminé et déjà en compétition



Je vous avais parlé d'Orloj, ce film que j'ai "chefopé" dans un grand château près de Veveri, en République Tchèque. Tourné en HDV avec l'excellente Canon XL-H1 et le Redrock M2, il a été kinescopé en 35mm par Swiss Effects. Le résultat est très satisfaisant (on ne sent pas l'origine digitale), et le film a été sélectionné en compétition au Festival du Film de Locarno.

Mais je retiens deux leçons de ce premier tournage HDV/M2:

- des franges chromatiques bizarres dues à l'un des objectifs Nikon utilisés me confortent dans ma conviction: les tests pré-tournage ne sont pas simplement conseillés, ils sont vitaux. Les prods doivent comprendre ça et laisser un jour de plus aux assistants avant le tournage. Si possible au début de la semaine avant le tournage, pour permettre de solutionner un éventuel problème pendant le restant de la semaine;


- quelques flous peu artistiques auraient pu être évités en vérifiant les deux points et la distance focale ENTRE CHAQUE PRISE. Le point sur le dépoli et le point sur l'objectif cinéma ou photo sont évidemment cruciaux. La série des HDV de Canon offre la possibilité d'activer le "peaking" et de zoomer au centre de l'image pour vérifier le point ("magnifying"). De plus, je vous conseille de bloquer les bagues de zoom et de point avec du Gaffer, et de vérifier que la distance focale (le zoom) reste toujours exactement à la même valeur - vous pouvez afficher la valeur numérique dans le viseur;

Si vous tournez avec cette configuration technique, devenez un Ayatollah du piqué. Avant chaque nouveau plan (voire entre chaque prise!), suivez la procédure suivante:

- Eteignez le moteur du M2 pour que le dépoli se stabilise
- Pendant que le dépoli s’arrête de tourner, faites en sorte que l’image qui se forme sur le dépoli soit floue (mise au point de l’objectif ciné/photo > flou max)
- Activez le peaking et le magnifying pour optimiser la mise au point sur le dépoli
- Faites le point sur le dépoli, qui doit ressembler à ce stade à des grains de sable très contrastés - ouvrez à fond le diaph de la caméra si nécessaire, pour bien cerner le point. Il est parfois nécessaire d’ajuster le point avec la bague de zoom, si celle-ci a bougé pendant la manipulation
- Gaffez (scotchez) fermement les bagues du zoom et de point
- Allumez le moteur du dépoli
- Ouvrez à fond le diaph de l’objectif ciné/photo
- Faites le point
- Réajustez les 2 diaphs à leur valeur de tournage

Sur certaines caméras le peaking et/ou le magnifying peuvent se faire en mode Noir et Blanc. Je vous conseille de choisir cette option, elle facilite un réglage minutieux.

Soyez intransigeant avec cette procédure, même si elle vous fait perdre 30 secondes avant chaque prise. On vous pardonnera ces trente secondes, on ne vous pardonnera jamais des rushes flous.

In the mood for Doyle: décevant, non?


Vous avez vu le docu sur Christopher Doyle (arte, le 30 août)? Au lieu de rester sobre, la caméra essaye de faire du Doyle, et c'est lassant et un peu pathétique. Du coup on ne peut plus faire la différence entre les extraits des films et les plans "à la Doyle".
Il y avait un autre docu juste après, aussi filmé à Hong Kong, mais les images avaient une autre classe.
Qu'en avez-vous pensé?