08 mars 2009

Tordons le cou aux conventions de style!


Les images de Milk, le dernier Gus Van Sant, sont signées par le grand Harris Savides, ASC. Loin de moi l'idée de mettre en cause ici son immense talent.

Et pourtant, Milk a provoqué en moi une sorte de ras-le-bol des films qui, parce qu'ils évoquent une époque, singent les films de cette époque. Ces images aux noirs jaunâtres ou verdâtres, au grain et aux contrastes fluctuants, aux couleurs délavées sont sensées évoquer les années 70. Bien sûr, les vêtements, les voitures, les musiques, les coupes de cheveux sont rigoureusement celles de ces années. Et pour être sûr que le spectateur sache qu'il est devant un film qui parle des années 70, il y a aussi des dates au bas de l'écran. Et des manchettes de journaux. Et des extraits d'émissions TV aux pixels moisis. OK. Mais les images (lumière, cadrage, mouvements de caméra) doivent-elles vraiment adopter le look des films de ces années-là (The French Connection, Serpico, Three Days of the Condor, etc.)? Et enfoncer encore un peu plus les clous de la redondance?

J'ai grandi dans les années 70 avec la certitude que les deux Guerres Mondiales ne pouvaient être montrées qu'en Noir et Blanc. Pendant 5 décennies (1945-1995), des centaines de documentaires et de films de fiction avaient choisi de montrer la guerre "comme on la voyait à l'époque, dans les actualités".
Je me souviens encore de la très forte émotion que j'ai ressentie en découvrant, au milieu des années 90, les images en couleurs que George Stevens et d'autres soldats américains avaient ramené du front de la IIe Guerre Mondiale. Le sentiment de réalité était brusquement décapé par ces images en Kodachrome. La libération du camp de Dachau, par exemple, était extrêmement troublante: la couleur ajoutait une couche de réel, et nous rapprochait tout près de ces évènements, en abolissant la frontière bien confortable entre le passé, en Noir et Blanc, et le présent, en Couleurs. Les souffrances des gens à l'écran, sans le filtre de la stylisation, devenaient quasiment insoutenables. Elles devenaient… contemporaines.

Je me suis alors aperçu que les vieilles habitudes stylistiques - une servilité imbécile à ce qui "se fait " et "ne se fait pas" - avaient privé des dizaines de millions de spectateurs de connections plus fortes aux histoires, aux personnages et aux enjeux de deux époques déterminantes. Il y avait évidemment des exceptions, comme le splendide "A Time To Love, and a Time To Die" de Douglas Sirk, qui racontait en 1958 la descente aux enfers de quelques soldats américains sur le front russe. En cinemascope et en couleurs désaturées. J'évoque ici les films qui parlent des combats au corps à corps, dans la boue des tranchées, et pas ceux qui évoquent des histoires épiques (The Bridge on the River Kwai).

Or donc, je commence à être échaudé par notre servilité aux images du passé. Il n'y a pas plus de raisons de "granuler" un film qui se passe en 1977 que de montrer la guerre en Noir et Blanc. Ou le passé en sépia. Ou les souvenirs en Super-8 rayé. Ou une enquête policière "comme dans les Experts". Ou un thriller "comme dans 24 heures chrono". Et pourtant, dans mon expérience, 95% des réalisateurs font ce genre de requête à leurs chef opérateurs.

Réfléchissons avant de monter dans le premier wagon stylistique venu: il pourrait bien dérailler dans le précipice des conventions stériles.

Ci-dessous, quelques extraits des films 16mm Kodachrome ramenés du front par Stevens et son équipe.


Les images intéressantes commencent aux alentours de 2 min 30.



Ici, commencez la lecture 3 minutes après le début.

Une dernière remarque, juste pour être très clair: j'adore le Noir et Blanc. En voir. En faire. Plus de la moitié de mes films préférés sont en NB. Je proteste seulement contre les conventions: dans l'art, il ne devrait pas y avoir de place pour la Pensée Unique.

11 commentaires:

  1. Anonyme8.3.09

    j'ai une question pour toi? Tu pense quoi du choix de Michael Mann et de faire son Public Enemies en HD ?

    Pour ma part je suis un fan de la vidéo... pas plus que le film... mais pas moin. Je croi que les 2 peuvent etre utilisé pour des intensions de look spécifique.

    mais apres avoir vu le trailer du film Public Enemies... Je me suis demandée si ce look tres vidéo pouvait bien ce marier avec une histoire d'époque? selon moi... non! Dans Collateral j'ai aimé...

    http://www.apple.com/trailers/universal/publicenemies/hd/

    Jean-Philippe Bernier

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  2. En ces temps de guerres de gangs entre pro et anti digital, seuls quelques réalisateurs peuvent décider des formats de tournage. Mann, Fincher, Soderbergh ou Jackson ont les pleins pouvoirs dans ce domaine. L'énorme majorité des autres se soumet au choix des studios et des producteurs. Le choix du format "Cinema Digital" offre un nouveau confort aux réas, qui peuvent voir leurs rushes en très haute qualité, immédiatement. Et laisser tourner longtemps leurs caméras. Le look électronique des bandes-annonces online (et des DVD et Blu-ray) provient souvent du fait que les fichiers électroniques sont gravés tels quels. Dans la salle de projection, le look est souvent adouci par le transfert 35mm, qui lui rend une patine, une "âme".

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  3. Anonyme9.3.09

    Je suis assez d'accord avec toi sur le look de déjà vu.
    Un élément intéressant à rajouter serait les jeux vidéos sur la ww 2. Tous ont pour but d'immerger le joueur dans l'ambiance de la guerre, tous essaient de pousser le réalisme encore plus loin et tous sont en couleurs.
    Les scénaristes ont du plancher sur cette question d'autant plus que les seuls éléments en noir et blanc sont les cinématiques de narrations ( non pas celle d'introduction d'une séquence de jeux )

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  4. Anonyme9.3.09

    Je pense que Gus Van Sant a fait un excellent choix concernant l'image de ce film. L'histoire d'Harvey Milk n'étant pas franchement connu du "grand public", j'ai découvert cette histoire avec la sensation de mettre la main sur des images d'archives. Je n'ai à aucun moment eu la sensation de tomber dans un précipice de conventions stériles.

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  5. Daniel, ton commentaire me fait penser à un sujet qui me trotte dans la tête depuis un moment: les influences picturales croisées entre les jeux vidéo et le cinéma. Les séquences "cinéma" de Need for Speed - Undercover" ont été tournées par un chef op, qui a créé un look cinéma - look qui a ensuite été appliqué au jeu dans son ensemble.

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  6. Michel, c'est justement le fond du problème: pourquoi fabriquer de fausses images d'archives? Les films de guerre en NB fabriquaient aussi de fausses archives. "Il faut sauver le soldat Ryan" ou "La Ligne Rouge" ne sont-ils pas plus impliquants pour le spectateur parce qu'ils sont en couleurs? Le fait de voir des archives implique presque un point de vue d'historien, en tout cas un recul. Alors que les images actuelles mettent en quelque sorte le nez du spectateur dans l'histoire.
    Je préfère le cinéma émotionnel au cinéma cérébral, c'est sans doute là que nous divergeons. Aucune attaque dans mon propos, ce sont seulement des points de vue différents.

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  7. Anonyme9.3.09

    Je pense que dans une fiction, on perd le côté "éducatif", "informatif" plus liés au documentaire. Peut-être que sur Milk le réalisateur à voulu se détacher du côté "Entertainement" des Fictions Hollywoodienne avec des traitements assez aggressif et propre ( que ce soit au niveau du rendu de l'image que du montage ). Pour moi ce côté faussement "moderne", car vu et revu ( "Il faut sauver le soldat Ryan", "La Ligne Rouge" etc...) représente les conventions actuelle du cinéma. Pas vraiment original.

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  8. Anonyme9.3.09

    Michel, n'oubliez pas que Ryan a créé une mode, tout comme Seven en son temps. De plus, il y a d'énormes différences de style entre Ryan et La Ligne Rouge ou Lettres d'Ivo Jima. On ne peut donc pas parler de look moderne vu et revu.

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  9. Anonyme10.3.09

    Michel, ce que vous dites sur la perte du côté éducatif des fictions est intéressant car vrai parfois (on ne peut pas dire que Fast & Furious nous en apprend vraiment sur la mécanique ).
    Cependant, je trouve que les règles des fictions peuvent être (et sont) utilisées pour renforcer le côté éducatif. Par exemple, "au nom de la rose" qui démontre bien la mentalité des monastères d'antan, ou alors toutes les séries policières ou scientifiques qui sous couvert de fictions distillent énormément de notions biologiques.
    Ou encore Astérix ! Même mes profs d'histoire me les conseiller ! :)

    A côté de ça nous avons le documentaire qui a une photo bien différente. Sont rôle étant de rester plutôt neutre ( disons en théorie hein...), il va mettre en avant les images d'archives (pour le côté authentique ) ou les plans d'animaux filmés de loin ( pour éviter de perturber l'écosystème ).
    Cette distance rend évidement le film plus 'plat' photographiquement parlant mais le côté éducatif, puisque authentique, est préservé.

    Nous avons donc là deux traitement de l'information qui peuvent se rejoindre sur une finalité éducative.

    A vos réponses !!

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  10. Anonyme10.3.09

    ( excusez moi 1000 fois pour les fautes... )

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  11. Anonyme17.3.09

    Bonjour Pascal,
    Puisqu'un débat passionné a été engagé à votre initiative, je voudrais très humblement donner mon point de vue.
    Le cinéma n'a t-il pas pour vocation, entre autre, de proposer au spectateur, un voyage, une immersion subie dans un espace où les codes narratifs tutoient intimement le support d'expression qu'est l'image.
    Si des auteurs, des réalisateurs, des ChefOP, ont le besoin ou l'envie de renforcer la valeur du récit en proposant une palette graphique qui magnifie ou pas, qui transcende ou pas, l'histoire, ne devons nous point nous en réjouir ?
    J'ai en mémoire le film magnifique de Ridley Scott "American Gangster" et son parti pris audacieux de restituer une image "seventies" et donc de tenter de nous faire vivre ce climat détestable et douteux qu'ont subit les personnages du film, ou encore celui de David Fincher "Zodiac", également ceux que vous évoquez dans votre billet d'humeur et dont Michel a contredit de manière cordiale, l'assertion.

    Il me semble, que les techniques de post-production qui appréhendent la question de la palette graphique, sont sans doute trop récentes et trop peu répandues pour permettre un dosage approprié au regard de notre considération esthétique, aux uns ou aux autres.

    Personnellement, je pense tout le bien de cette inclinaison graphique et esthétique à condition qu'elle soit maitrisée et au service d'une histoire, et ici, il ne s'agit plus uniquement de moyens financiers ou techniques, mais une question liée au talent...

    ps : nous avons reçu "une" Red pour le moment ;-)
    Cordialement,

    GMDF
    maubrun

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