14 décembre 2009

Le téléciné digital



Il y a quelques semaines j'ai chefopé un film de Christophe Perrier provisoirement intitulé "Graine de folie".

J'avais visé un look très neutre pour garder pas mal de latitude en post. Ça donne des images déprimantes sur le plateau et au montage parce qu'elles sont fades et sans caractère, en trois mots tièdes à pleurer. Ce n'était donc pas une volonté de ma part, mais puisque Christophe n'avait rien de précis en tête, je me suis réservé la possibilité d'explorer avec lui différents styles après la fin du montage.

J'étudie en ce moment diverses directions, qui vont du Noir et Blanc (pour certaines séquences) jusqu'au "bleach bypass" époque 21 Grammes, ce look contrasté aux couleurs chaudes désaturées. La capture d'écran ci-dessus s'en rapproche sensiblement.

En l'occurrence, j'explore les possibilités en passant les rushes au téléciné (c'est ce qu'on disait autrefois au temps de la pellicule mais c'est une analogie qui tient la route). Les rushes RAW sont en effet tout aussi difficiles à interpéter qu'un négatif film. En extraire les informations pertinentes en vue d'un étalonnage ultérieur, c'est comme passer le négatif film dans un téléciné en "best light".
Le soft utilisé est la dernière mouture de RED CINE X. Très agréable pour faire du temps réel, sans aucun plantage.

En observant les réglages appliqués pour obtenir l'image ci-dessus, vous constatez que la courbe caractéristique en S monte assez rapidement vers les blancs. La désaturation est d'environ 40% et la température de couleur a été légèrement modifiée par rapport à la normale.

Si je devais raffiner ces réglages, j'opterais sans doute pour des blancs plus éclatants. Les noirs me semblent bien calés parce que tous les détails y sont encore visibles sans pour autant être placés sous le niveau du bruit de fond. De toute manière les images devront encore traverser l'étalonnage. Je préfère donc garder quelques options pour l'étape finale dans quelques semaines.

Tournage en RED One, sources majoritairement HMI.
Cliquez sur les captures d'écran pour les voir en grand.

20 commentaires:

  1. Petite question justement sur l'étalonnage par rapport à ton post plus axé « couleur ». J’ai travaillé pendant quelques années avec un photographe qui éclairait de manière uniforme le sujet, le plus souvent à l’aide de lumière continu tel que les « kinoflo » et par la suite il travaillait ses teintes, lumières, ombres comme tu viens de le faire avec ce téléfilm.
    Ma question est : Faut-il aujourd’hui suivre cette méthode, afin d’avoir une large palette de teinte en post-prod ou bien au contraire faire le maximum à la prise de vue ou pendant le tournage en filtrant la lumière à l’aide de gélatine pour teinté les ombres et les lumières ?
    Car je sais qu’il y a un mouvement au USA qui prônent le fait de faire le plus possible avant afin d’être en « harmonie » si je puis dire ainsi avec le capteur digital. Ils pensent que si ils allègent d’un certains point de vue les couches du capteur à savoir RVB en teintant le sujet, le décor que cela donnera un bien meilleur rendu et une bien meilleure définition. Car ces petite bête sont très capricieuses tant aux niveaux des écarts de contraste, que sur les teintes.
    Ou finalement que tout ça n’est que de la « masturbation intellectuelle », et le fait de tout faire à la post-prod permet de pouvoir rectifier les teintes à volonté selon les bon vouloir de la production ?

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  2. Je crois que l'idée c'est d'étendre au maximum la dynamique pour avoir le max de jeu en post, non?

    Est-ce que travailler ainsi ne limite pas le style qu'on veut donner à certaines images? Clairs obscures par exemple? Travailles-tu avec la même latitude lorsque tu tournes dans un style Film Noir?

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  3. Il y a effectivement deux écoles en la matière. J'ai longtemps été de la première, celle qui consiste à créer des images neutres. C'était le temps où on accordait aux chefs op le privilège d'accompagner leurs images jusqu'au bout de la chaîne de post-prod. J'y ai encore recours de temps en temps, comme sur ce film, mais je m'assure avant toute chose que le format permettra de triturer les pixels à l'envi (la définition et la richesse d'infos par pixel sont déterminants).

    Les choses ont changé, et je suis aujourd'hui plutôt adepte de la deuxième école, celle qui consiste à s'approcher au plus près du look final, pour verrouiller les options et protéger le travail de tous les intervenants du tournage.
    J'utilise également cette option sur les films en format "léger" (HDV, XD-CAM HD par exemple) dont je sais que les images souffriraient trop de mes tripatouillages, si je tournais avec des réglages trop éloignés du look final.

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  4. Effectivement Daniel, l'esthétique Film Noir ou les véritables clairs-obscurs ne sont possibles à mon sens que si de vrais parti-pris sont imposés sur le plateau. Ce sont des looks dont le caractère entier s'accomode mal de tergiversations. Il y aura pourtant toujours quelqu'un près du moniteur qui soufflera au réalisateur "C'est pas un peu sombre, quand même?". Ce genre de phrase n'a pas son pareil pour déstabiliser un rélaisateur - et un chef op d'ailleurs, qui s'efforce de calculer ses risques pour ne pas mettre le film en danger.

    Toujours est-il que, quel que soit le look, il faut exposer pour le support. En l'occurrence, j'ai légèrement surexposé les pénombres des clairs-obscurs de Lester, pour y garder des informations. L'objectif étant de retomber sur de beaux noirs au "téléciné" et à l'étalonnage.

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  5. salut les gars,

    si je peux me permettre d'ajouter un éclaircissement ;-)) du point de vue d'un étalonneur:
    la couleur est assez trivale a retoucher, y compris par zones, avec des masques meme grossiers, car l'oeil est beaucoup plus sensible aux luminances qu'aux chrominances. donc les gels ne sont pas essentiels si ce n'est pour uniformiser le point blanc, comme vu souvent dans le travail de Pascal grace à ce blog.

    Par contre, l'important au niveau du setup - en plus de bien sur prévenir les brulures et les écrasements de noirs sinon on n'a plus aucune info à utiliser - c'est de travailler le ratio de contraste de l'éclairage (key 2 fill en anglais), en particulier la répartition des luminances en 3 dimensions, pour modeler les formes. Avec la courbe en S, on renforce le contraste de l'IMAGE en post-prod, mais on ne pourra aisément - meme avec des outils de masques - récréer des contrastes d'éclairage en volumes. C'est très évident sur des clair-obscurs comme pour les films noirs.

    Donc, l'éclairage uniforme n'est pas recommendable si on veut ensuite jouer sur les pénombres, mais on veut tout de meme - en numérique - une scène relativement "carrée" sur l'oscillo, c-a-d avec les hauts et les bas qui ne touchent pas trop les bords…

    Toujours un plaisir de te lire pascal, cool d'avoir repris le boulot du blog ;-)

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  6. Merci Olivier pour ces précisions!
    Pourrais-tu expliquer à la foule ce que tu entends par la répartition des luminances en 3 dimensions?

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  7. Et bien ce qui donne la tridimentionnalité à la surface d'un objet lorsqu'il est représenté en 2d (c-a-d aussi bien en photographie ou film qu'en infographie ou en dessin d'ailleurs) c'est la manière dont les différentes parties de sa géométrie réagissent à la lumière relativement les unes aux autres (en anglais le "shading").

    La position en 3 dimensions des différentes lumières et le résultat de cette combinaison (frontal, latéral, backlight, etc) va déterminer le dégradé et donner (ou pas) du volume à chaque objet. En mode par exemple, on s'applique à diffuser un max de manière frontale (avec des optiques plutot téléobj d'ailleurs pour écraser aussi les lignes de perspective et renforcer cet effet).

    Ce qui importe pour l'étalonneur, ce n'est pas tant la valeur absolue de l'éclairage (sauf pour permettre au média donné d'enregistrer les infos nécessaire à la manipulation), mais plutot la luminance à l'impact et la dureté RELATIVE de chaque source; ceci ne peut pas être altéré facilement car les variations sont très subtiles sur les formes complexes (comme les visages ou les vêtements par exemple - pas de probleme avec les murs par contre car c'est de la géométrie plane).

    Pour faire simple, je dirais que le chef op travaillera plutot les lumières en 3D sur le plateau, alors qu'avec son étalonneur il retravaillera plutot en 2D.

    L'exemple le plus parlant est la backlight (que j'adore personnellement ;-), vraiment pénible à devoir créer à l'étalonnage car c'est vraiment une lumière qui joue avec les positions dans l'espace (et la réaction des matières).

    Note: on peut aussi retoucher en 3d par reprojection de surfaces, mais c'est alors de l'effet visuel, pas de l'étalonnage proprement dit.

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  8. Olivier: deuxième paragraphe, 2e phrase, il manque un mot: en mode...

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  9. Olivier ouvre ici une porte intéressante, les effets visuels (vfx).

    Prenons un cas de figure que j'ai vécu lors de ma dernière production.

    Le style visuel recherché par le DOP; un beau pastiche du film noir américain des années 40. N&B avec de hauts contrastes et des noirs très profonds.
    On tourne en HD, Sony900, donc pas en RED.

    50% du tournage se déroule en studio avec des acteurs devant fond bleu, car tout le décors sera produit en 3D par l'équipe des VFX. Mais les détails du décors ne sont pas encore terminés le jour du tournage.
    Le concepteurs des VFX souhaite qu'on tourne les images les plus "flattes" possible pour qu'il puisse créer, à sa guise en post, des lumières numériques en 3D qui mettront bien en valeur le décors d'images de synthèse.

    Le réalisateur, dépassé par ces considérations techniques, ne sait pas à qui faire plaisir. Il se tourne vers le producteur et lui demande de trancher.

    Alors, qui je me mets à dos? Le DOP ou le CONcepteur des VFX?

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  10. Waouw ! tant d'ouverture et de réponse... c'est super.
    Pour répondre au dernier post. Je connais que très peu le milieu du cinema, beaucoup de personne travaille sur un même projet, donc les impacts ne sont pas les mêmes au final. En Photographie, l'équipe se résume souvent au D.A, au modèle, le photographe et le client.
    tout ce que je sais par expérience, c'est de ne pas se mettre à dos sois même ! La priorité est d'obtenir l'image pour laquelle on à été engagé de faire.
    Tu parles de faire plaisir ? dans le mien en tout cas, je ne fait plaisir à personne ; seulement mon boulot que je juge nécessaire et intéligent de faire, le reste je m'en fou quite à ne plus travailler avec le directeur ou plus jamais.
    Si tu juges que l'image sera bien meilleure et que ça va dans le sens du film de faire une lumière flatte, fait le ! ^^

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  11. Anonyme16.12.09

    Salut Pascal,

    Tu dis dans ton article que "les noirs sons bien calés car tous les détails sont visibles sans pour autant être calés sur le niveau du bruit de fond"... Qu'est-ce que t'entends par là?


    En parlant de bruit pour une question qui n'a rien à voir. Un chef op me disait qu'avec la RED One il ne se calait jamais en 3200K car il y avait du bruit. Il préférait du coup lorgner plus de 4000. Est-ce que tu as remarqué la même chose et est-ce que c'est toujours le cas sur les modèles plus récents?

    Samuel

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  12. Daniel, Lilian, je pense que c'est le résultat final qui compte. Comme le disait Olivier, un éclairage trop plat est difficile à remodeler en post, à moins d'animer des caches, et encore. Donc tourner avec des ratios de contrastes bas (peu de différence de diaph entre les hautes et les basses lumières) me semble dangereux si au final on vise un look très contrasté. Les visages souffrent beaucoup lorsqu'on contraste en post quelque chose qui a été tourné trop plat.
    Daniel, entre nous, ton choix entre l'avis du VFX-man et celui du chef op est facile à faire: le chef op a toujours raison.

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  13. Pour la question de Samuel sur le bas de la courbe, où il importe de bien caler ses pénombres: tout en bas de la courbe il y a le noir total, l'absence de signal électrique, qu'on ne peut pas voir. Juste au-dessus il y a une zone où le bruit vidéo envahit les trop basses lumières. Au plafond de cette zone de bruit, on commence à distinguer des formes, des informations d'images, qui émergent du bruit. A partir d'un certain niveau de signal (7% env, mais ça varie), les informations de l'image se détachent clairement du bruit de fond: c'est ton seuil pour fixer tes noirs. On appelle ça clipper les noirs: en-dessous, tu définis que tout doit être noir. Du coup tu as de beaux noirs bien charbonneux et juste au-dessus des anthracites très sombres bien détaillés, presque sans grain, ce qu'on appelle du "noir détail". Le détail dans les pénombres contribue à restituer une impression de richesse de l'image, puisque les nuances les plus subtiles te donnent l'impression de voir dans le noir.

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  14. Anonyme16.12.09

    @ Montjov: Je pense qu olivier voulait dire "en photographie de mode (au sens de stylisme , pret a porter, photo des mannequins,ect.. )

    Laurent

    @anonyme: je pense qu il parle de distinguer dans le noir "zero" ce qui y est a peine plus clair que la penombre sans pour autant que ca soit un gris anthracite qui bruite (genre filmer une cave et y reveler qq zones moins sombres en augmentant le gain du capteur=c est a dire des details en gris foncé qui bruite )

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  15. Samuel avait une autre question:
    "Un chef op me disait qu'avec la RED One il ne se calait jamais en 3200K car il y avait du bruit. Il préférait du coup lorgner plus vers les 4000. Est-ce que tu as remarqué la même chose et est-ce que c'est toujours le cas sur les modèles plus récents?

    Il y a quelques "builds", le RED était plus à l'aise avec les températures de couleur proches des 5600. C'était également valable pour la restitution de certaines couleurs, comme le vert. Mieux valait alors travailler en HMI ou filtrer la caméra avec du bleu.
    Aujourd'hui je n'ai plus constaté ce problème. J'ai tourné plusieurs Green Screens en Tungstène, sans constater d'aberrations.
    La caméra sature légèrement plus les tons chauds, mais c'est à mon sens aisément modifiable en Post.

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  16. Anonyme18.12.09

    Merci Pascal pour tes réponses détaillées.

    En gros concernant donc le niveau de noir minimal qui ne doit pas être"collé" et qui doit être placé encore un peu au-dessus des 7% (de 0.7V j'imagine), je pense que le mieux à chaque fois qu'on change de caméra est de faire des tests afin d'être plus sûr de comment on va exposer ses noires et où se trouve le niveau de bruit de fond.

    Danke schön et à bientôt Pascal,

    Ah, et BONNES FÊTES également.

    Samuel Martin

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  17. Anonyme9.4.10

    BJ Pascal. Bravo pour ton Blog.
    J'ai remarque que tu etalonnais dans RedCine avec color/Gamma Space en RedSpace/RedSpace. Pourrais tu expliquer ce choix.Merci.
    Guillaume lomprez Chef-op

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  18. Bonjour,

    pour info, quel telecine (methode et equipement) utilise s'il vous plait?

    Matthieu

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  19. Matthieu, si tu lis l'article attentivement, tu verras que ta question ne se pose pas:
    "En l'occurrence, j'explore les possibilités en passant les rushes au téléciné (c'est ce qu'on disait autrefois au temps de la pellicule mais c'est une analogie qui tient la route). Les rushes RAW sont en effet tout aussi difficiles à interpéter qu'un négatif film. En extraire les informations pertinentes en vue d'un étalonnage ultérieur, c'est comme passer le négatif film dans un téléciné en "best light".
    Le soft utilisé est la dernière mouture de RED CINE X. Très agréable pour faire du temps réel, sans aucun plantage."

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  20. ok effectivement,j'ai lu trop vite :-)
    merci de m'avoir re-dirige vers une 2nd lecture.

    Bon week end,

    Matthieu

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