28 janvier 2025

Lumière en jeu : que valent vraiment les gélatines numériques ?

Le département images de la Commission supérieure technique (CST) a organisé une étude approfondie sur le rendu colorimétrique des projecteurs LED munis de gélatines numériques, spécialement en ce qui concerne les teintes chair. 


© CST 2025

Cette initiative, suggérée par Marianne Lamour, chef électricienne, a mobilisé un groupe de travail comprenant entre autres un directeur de la photographie, un étalonneur et un color scientist. 

Cet article résume les protocoles, les observations et les résultats de cette étude, qui visait à comparer les gélatines physiques et numériques, ainsi que leurs interactions avec différentes sources de lumière.

Contexte et objectifs

Depuis quelques années, les projecteurs LED équipés de gélatines numériques se sont imposés sur les plateaux. Cependant, leur performance sur les teintes chair reste un sujet de discussion dans la communauté cinématographique. Les principales problématiques identifiées incluent :

  • les dominantes colorées (vertes ou magenta)
  • la gestion des gélatines pastel
  • la reproduction des ombres et leur couleur
  • les différences photométriques et colorimétriques entre gélatines physiques et numériques

Le projet avait donc pour but de vérifier si ces différences étaient perceptibles à l’écran et dans quelles mesures elles pouvaient être corrigées en postproduction.

Matériel et protocoles

Caméra et objectifs :

  • Caméra : Alexa Mini LF, format open gate 4,5K à 3200 K, ISO 800, avec un ND 6.
  • Objectif : Zeiss Supreme Radiance 65 mm (seul objectif utilisé pour assurer la cohérence).

Sources lumineuses testées :

  • SkyPanel S60
  • Creamsource Vortex 8
  • Fresnel incandescent Desisti 2K (référence)

Gélatines évaluées : les essais portaient sur 9 gélatines, dont 1/4 CTB, 1/4 CTO, Golden Amber, Lavender, Flame Red et Steel Blue. Chaque gélatine a été testée sous sa forme physique et numérique.

Méthodologie :

  • Les distances entre la caméra, les projecteurs et les modèles étaient fixes pour garantir des conditions reproductibles.
  • Des mesures photométriques et colorimétriques ont été effectuées avec un spectrocolorimètre Gossen et un Photo Research PR670.
  • Le maquillage des modèles était uniformément appliqué pour éviter les brillances ou variations involontaires.

Observations principales

  1. Différences entre gélatines physiques et numériques :

  • Les gélatines physiques offrent un rendu plus homogène, en particulier sur les teintes chair.
  • Certaines gélatines numériques, notamment les pastel (Lavender, Golden Amber), présentent des dominantes vertes ou des variations chromatiques inattendues.

 2. Rendu des ombres et fonds :

  • Les fonds gris neutres révèlent des variations notables selon les projecteurs et les gélatines utilisés.
  • Les LEDs montrent une chute de lumière différente entre les avant-plans et les arrière-plans, difficile à équilibrer en postproduction.
3. Plan dos (réflexion sur la peau) :
  • Les surfaces plates des dos des modèles ont permis de constater des dominantes colorées différentes, accentuées avec les gélatines numériques.

Questions posées à l’étalonnage

Lors de l’étalonnage, plusieurs questions techniques ont été soulevées pour répondre aux problématiques observées :

  • Peut-on réduire les dominantes vertes ou magenta sans altérer les autres teintes? Les gélatines pastel, comme le Lavender, ont nécessité des corrections secondaires complexes, souvent insatisfaisantes.
  • Comment maintenir la cohérence entre les avant-plans et les arrière-plans ? Les variations d’exposition sur les fonds ont exigé des ajustements précis, sans toujours pouvoir éviter une perception de chutes de lumière irrégulières.
  • Quelle méthodologie utiliser pour les teintes chair ? Trouver un équilibre entre des carnations différentes (modèles caucasiens et métis) a constitué un défi, chaque teinte réagissant différemment aux corrections.
  • L’impact des gélatines sur les matériaux environnants peut-il être contrôlé ? Certains matériaux, comme le denim ou les cheveux, ont réagi de manière inattendue, introduisant des variations dans le rendu final.

Options d’étalonnage :

  • Logiciel : DaVinci Resolve 18.6
  • Color Management : ACES (Academy Color Encoding System) en mode ACEScct
  • Espace colorimétrique : P3 D65 (adapté pour projection en salle)
  • Étapes principales :

    • Exposition corrigée en offset (mode perceptuel)
    • Correction primaire (balance des couleurs en offset)
    • Éventuelles corrections secondaires (matte en luminance, qualifier ou dégradé)

Résultats de projection

Quatre séquences différentes ont été projetées :

  1. Rushs vierges (sans étalonnage) pour observer les différences brutes
  2. Plans étalonnés selon une référence (incandescent sans gélatine)
  3. Plans avec corrections secondaires pour tenter de raccorder les images
  4. Plans dos pour analyser les réflexions sur des surfaces planes

Conclusions

Ces projections ont mis en évidence les difficultés à obtenir un rendu homogène, même avec un étalonnage avancé (secondaire), en particulier pour les gélatines numériques pastel sur les LEDs.

Cette étude confirme que, malgré les progrès des technologies LED, les gélatines physiques restent préférables pour un rendu colorimétrique précis, notamment sur les teintes chair. Les gélatines numériques, bien que pratiques, présentent encore des limites significatives.

© CST 2025


Pistes futures :

  • Collaboration avec les fabricants pour améliorer les gélatines numériques
  • Poursuite des recherches sur la gestion des chutes de lumière ("Falloff") et les dominantes colorées

Questions que je me pose :

  • Peut-on envisager des évolutions technologiques pour éliminer définitivement les différences entre gélatines physiques et numériques ?
  • Dans quelle mesure l’intelligence artificielle pourrait-elle contribuer à corriger ces variations - en particulier pour les tons chair - en postproduction ?
Intervenants :
  • Gilles Arnaud – Chef opérateur image
  • Eric Chérioux – Directeur technique de la CST
  • Thierry Beaumel – Consultant en workflow
  • Jean Coudsi – Etalonneur

Rediff de la conférence:

28 décembre 2024

Interview de Jarin Blaschke - Chef Opérateur de "Nosferatu"

Lors de son récent passage sur "The Go Creative Show", Jarin Blaschke, le Directeur Photo de "Nosferatu", a partagé des réflexions sur les choix visuels et techniques derrière le film.
Je vous en livre quelques extraits en français, pour vous donner envie de voir l'interview -- et surtout le film!


11 novembre 2024

John Mathieson et Gladiator II : lumière, optiques et défis monumentaux

« Ridley m’a appelé et m’a dit : “On y retourne. Tu en es ?” Nous avons repris exactement là où nous nous étions arrêtés. » Ainsi, John Mathieson, BSC, résume avec humour, dans une interview accordée au magazine Cinematography World (en anglais), son retour à l’univers de Gladiator. Pour cette suite ambitieuse, il a dû conjuguer une vision artistique exigeante avec les réalités logistiques et techniques d’un film de grande ampleur, tout en restant fidèle à une esthétique tangible et immersive.

Une logistique pharaonique

Recréer l’ampleur épique de Rome pour Gladiator II a impliqué une logistique impressionnante. Les galères utilisées pour les batailles navales ont été construites en trois segments de 30 mètres et transportées au Maroc à l’aide de Self-Propelled Modular Transporters (SPMT). Une opération titanesque, mais essentielle pour respecter l’authenticité visuelle du film. Sur le plateau, Mathieson décrit une organisation gargantuesque : « À Ouarzazate, nous étions 2 700 à déjeuner. La plupart étaient des constructeurs de décors, mais l’équipe de tournage comptait quand même plusieurs centaines de personnes, du pré-rigging à l’éclairage en passant par les caméras. »

Le tournage a également été marqué par une interruption de cinq mois due aux grèves de la Writers Guild of America et de la SAG-AFTRA. Cela a nécessité une réorganisation complète des lieux et des calendriers. « Il fallait rester flexible, anticiper l’imprévisible : les grèves, le mauvais temps, les réécritures. Il fallait être liquide », confie Mathieson.

Neuf caméras dans l’arène, des diaphs très fermés

Mathieson a dû composer avec des exigences nouvelles en passant de la pellicule au numérique. Contrairement au premier Gladiator, tourné en Super 35 mm avec deux ou trois caméras, cette suite mobilise jusqu’à neuf caméras simultanément, principalement des ARRI Alexa Mini LF et quelques Z Cam pour des prises spécifiques. « Ce choix n’était pas romantique. Il fallait des caméras fiables et standardisées, capables de fonctionner dans des conditions extrêmes. »

Les zooms étaient au cœur de sa stratégie : Angénieux Optimo Ultra (36-435 mm), Optica Elite (120-520 mm avec doubler), Primo 70 (28-80 mm et 70-185 mm). « Les fixes sont restées dans leurs boîtes. Les zooms nous ont permis une flexibilité totale pour capturer l’échelle des scènes. »

Pour exploiter pleinement les décors détaillés et donner vie à chaque recoin du cadre, il a opté pour des ouvertures profondes, allant de T8.5 à T16 : « Je voulais que l’arrière-plan soit vivant. Chaque figurant, chaque élément du décor devait participer à la narration. Ces diaphragmes serrés permettent de conserver le décor et les figurants nets sur plusieurs plans. »

Les LED, trop froides pour un univers antique

Pour Mathieson, les LED manquent d’authenticité et ne peuvent remplacer le tungstène : « Le tungstène offre une richesse de couleur et une profondeur incomparables. Les LED manquent de chaleur et semblent artificielles. » Cette conviction l’a conduit à privilégier les Maxi et Mini Brutes en tungstène pour les scènes nocturnes, et à éclairer les grandes scènes comme le Colisée avec des grappes d’ARRIMAX 18K montées en hauteur.

Il préfère également illuminer depuis l’extérieur, même pour les intérieurs, afin de conserver une lumière naturelle : « Je n’éclaire jamais depuis le plafond. Où serait cette source dans un drame antique ? » Pour les visages, des rebonds ultra-larges (20x20 pieds) ont été utilisés pour adoucir les ombres, notamment dans des espaces profonds comme la loge impériale.

Réutiliser la pellicule : quand le passé rencontre le numérique

À l’étalonnage, Mathieson a veillé à maintenir une continuité visuelle avec le premier film. « Ridley voulait même réutiliser des plans du premier film, tournés en Super 35 mm. J’étais sceptique. Comment ces négatifs, de la taille d’un timbre, tiendraient-ils face aux images des Alexa LF ? Finalement, la transition est imperceptible. »

Certaines séquences, comme celle de l’au-delà, ont nécessité un traitement spécifique. Inspirée par Man Ray et Bill Brandt, elle utilise des textures noir et blanc solarisées et des reflets argentés pour une ambiance onirique. D’autres segments, comme les flashbacks, ont posé des défis visuels que Mathieson avoue avoir laissés en partie à l’appréciation du coloriste.

Décors physiques : une contrainte devenue un atout visuel

Mathieson décrit son attachement à tourner sur des décors réels et dans des environnements variés, loin des studios : « Voyager, découvrir des lieux que je n’aurais jamais vus autrement, c’est ce qui me passionne », confie-t-il. Tourner à Malte, au Maroc ou au Royaume-Uni, loin des studios, lui a permis de nourrir son inspiration, malgré des conditions parfois éprouvantes, comme la chaleur accablante ou des changements lumineux brutaux en extérieur.

Cette authenticité, alliée aux contraintes imprévues, enrichit l’image finale : « Ridley voulait des angles multiples, mais chaque plan devait rester précis et raconter l’histoire. » Une exigence qui reflète une approche rigoureuse de la lumière et du cadre, où chaque choix technique est une brique essentielle à la construction d’un langage visuel cohérent et puissant.

Article original dans Cinematography World #24

23 avril 2024

Filtres, pellicule, développement : retour sur une obsession visuelle inspirée par "The Ring"

Le film d'horreur "The Ring", sorti en 2002, a marqué les esprits non seulement par son scénario angoissant, mais aussi par son esthétique visuelle singulière. Les tons verdâtres et l'atmosphère éthérée qui imprègnent le film lui confèrent une identité unique, qui a influencé de nombreux cinéastes par la suite. 

Mais au-delà de l'admiration suscitée, c'est une véritable fascination qui s'est emparée de certains passionnés de cinéma, désireux de percer les secrets de fabrication de cette esthétique si particulière.

C'est le cas de l'auteur de la vidéo qui nous intéresse ici, véritable détective de l'image lancé dans une quête obsessionnelle pour élucider les mystères techniques derrière le look de "The Ring". Une enquête digne d'un film noir, avec ses fausses pistes, ses révélations et ses rebondissements, mais aussi ses expérimentations pratiques pour tenter de reproduire, avec les moyens du bord, les caractéristiques visuelles du film.

À travers le récit de cette aventure, c'est un véritable plongeon dans les arcanes de la direction photo et de la colorimétrie qui nous est proposé. Une exploration passionnante des possibilités offertes par les filtres, les pellicules et les techniques de développement, mais aussi une réflexion sur l'importance des choix artistiques en amont, de l'ingéniosité technique et de la prise de risques dans le processus créatif. Une source d'inspiration pour tous les amoureux d'image et de cinéma.


Ceux d'entre vous qui ne comprennent pas l'anglais peuvent activer les sous-titres de la vidéo, et dans les paramètres choisir la traduction en français.


03 avril 2024

Les sources LED à l'épreuve des tests de la CST: des résultats qui invitent à la vigilance

Avec les progrès fulgurants de ces dernières années, on pourrait croire que les sources à LED ont atteint leur pleine maturité et sont désormais capables de rivaliser sans compromis avec les traditionnels éclairages tungstène et HMI.

Mais qu’en est-il vraiment ? La Commission Supérieure Technique (CST) a voulu en avoir le cœur net en menant une série de tests rigoureux, avec le concours de nombreux partenaires de l’industrie.


Au cœur du protocole, la volonté de comparer objectivement le rendu des différentes sources, en s’appuyant sur des critères scientifiques précis. Parmi eux, le SSI (Spectral Similarity Index), qui mesure la similarité entre le spectre d’une source et celui d’une référence, comme le tungstène. Car contrairement à l’IRC (Indice de Rendu des Couleurs), longtemps utilisé mais de moins en moins pertinent pour les LED, le SSI permet de détecter les écarts dans toutes les longueurs d’onde du spectre visible.

Les résultats sont pour le moins surprenants. Si certaines sources LED obtiennent d’excellents scores à 3200K, elles peinent à convaincre à 5600K lorsqu’il s’agit de simuler la lumière du jour.

Plus préoccupant encore, on observe des variations significatives entre différents modèles d’un même fabricant. Même constat avec le test Esmeralda, qui permet d’évaluer le métamérisme, c’est-à-dire la capacité d’une source à restituer fidèlement les couleurs d’un objet par rapport à une référence. Là encore, les LED ne sont pas toutes à la fête.

Le métamérisme est un phénomène optique où un même objet semble avoir des couleurs différentes lorsqu'il est éclairé par des sources lumineuses ayant des compositions spectrales différentes.

Il démontre que la couleur n'est pas une propriété intrinsèque des objets mais résulte d'une interaction complexe entre la lumière incidente, les propriétés de réflexion de la surface et la sensibilité spectrale du récepteur (œil ou caméra).

Le même poivron jaune, sous deux sources différentes.
Le même poivron jaune, sous deux sources différentes.

Ces écarts, aussi subtils soient-ils à l’œil nu, ont des conséquences bien réelles à l’étalonnage. Car s’il est techniquement possible de corriger les défauts de rendu en post-production, cela se traduit souvent par un travail bien plus long et plus complexe, avec son lot de compromis artistiques.

Philippe Ros, qui a dirigé ces tests, relevait en outre que les caméras utilisées, à savoir la Sony Venice 2, l’Alexa 35 et la Red Raptor, figurent parmi les modèles les plus avancés du marché. Leur grande latitude d’exposition et leur capteur à large gamut leur permettent d’enregistrer un maximum d’informations colorimétriques, offrant ainsi une marge de manœuvre appréciable à l’étalonnage pour corriger les écarts de rendu des sources LED.

Mais qu’en serait-il avec des caméras plus abordables, comme celles utilisées sur bon nombre de tournages ? Il est fort probable que leurs capteurs, moins performants, seraient plus prompts à révéler les défauts colorimétriques, sans offrir autant de possibilités de rattrapage en post-production.

Bien sûr, ces résultats ne remettent pas en cause le potentiel immense des LED. Cette technologie offre depuis quelques années une palette d’effets inédits et une souplesse appréciable sur les plateaux. Mais ils appellent à une certaine vigilance. Pour les chefs opérateurs, le choix d’une source doit plus que jamais s’appuyer sur une connaissance fine de ses caractéristiques et des écueils potentiels.

D’où l’importance de tests comme ceux menés par la CST, dont je vous invite à découvrir le compte-rendu vidéo complet. Au-delà des chiffres, on y trouvera de précieux partages d’expérience et des pistes pour améliorer les workflows. Car si les LED ont encore des défis à relever, c’est bien en unissant les compétences et en confrontant les points de vue que nous pourrons les aider à donner leur pleine mesure.

Alors, faut-il se méfier des LED ? Sans doute pas. Mais il serait imprudent de leur faire une confiance aveugle.

La CST va d’ailleurs bientôt publier la banque de données complète de ce comparatif, ce qui permettra des choix plus… éclairés.

A l’issue de ces tests, un constat s’impose : la révolution LED ne fait que commencer.



Ces tests ont été menés par:

Philippe Ros – Directeur de la photographie, AFC et co-président du comité technique d’IMAGO (ITC)

Patrick Duroux – Directeur de la photographie, AFC

Françoise Noyon – Directrice de la photographie

Thierry Beaumel – Consultant en postproduction

Jean Coudsi – Étalonneur

François Roger – Directeur de Cininter

Éric Chérioux – Directeur technique de la CST

05 décembre 2023

Une résurrection lumineuse : "Visions of Light" en HD!


Visions of Light [HD Remaster] (1992–2020) from Mulberry St Studios on Vimeo.

Sorti à l'origine en 1992, le documentaire "Visions of Light" est une ode virtuose à l'art de la cinématographie, explorant avec une rare profondeur la création de la lumière au cinéma. 

Produit par la chaîne japonaise NHK et diffusé en Europe pour la première fois sur VHS, ce film avait façonné la compréhension et l'amour de la cinématographie (littéralement "l'écriture par le mouvement") de toute une génération d'étudiants et de chefs op, dont je faisais partie.

Pourtant, la mauvaise définition des images d'archive et la disparition des supports originaux avaient rendu ce monument quasiment invisible avec le temps. Il fallait vraiment prendre sur soi pour revisionner cette œuvre en 720p, tant les images floues faisaient obstacle à l'appréciation de ce joyau.
Il devenait par exemple difficile de le montrer aux étudiants des écoles de cinéma, qui peinaient à en capter toute la substance. 

Aujourd'hui, "Visions of Light" renaît en haute définition grâce au travail méticuleux d'un restaurateur anonyme @DeusExFilmProf. En remplaçant les séquences d'origine en basse définition, quelque peu désuètes, par des extraits bien nets et plus complets, cette version restaurée sublime la vision des créateurs. 

Comme partagé par son artisan sur Twitter, ce projet titanesque, véritable "travail d'amour", lui a demandé deux ans de recherche de séquences inédites et de finition pointilleuse du montage et des effets, y compris la recréation de la séquence de titres dans After Effects.

En redécouvrant le ballet de la lumière et de l'ombre à l'écran, on ne peut qu'être ébloui par la capacité de la cinématographie à éveiller des émotions, à tisser des récits sans parole. C'est une masterclass intemporelle sur l'essence même de cet art.

Pour les chefs op en exercice ou en devenir, les passionnés de cinéma et pour les aspirants cinéastes, cette version restaurée de "Visions of Light" est un trésor inestimable.

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English version:

First released in 1992, the documentary "Visions of Light" stands as a virtuoso ode to the art of cinematography, delving with uncommon depth into the creation of light in film.

Initially aired on VHS in Europe after being produced by Japanese broadcaster NHK, this documentary shaped the understanding and passion for the cinematography artform (litterally "writing with motion") of a whole generation of students and cinematographers, myself included.

However, the poor quality of the archival footage and the disappearance of the original footage had rendered this monument almost invisible as years went by. One really had to push themselves to rewatch this gem in 720p, as the blurry images hindered its appreciation. Showing it to film school students had for instance become challenging, as they struggled to grasp its essence.

Today, "Visions of Light" is gloriously reborn in high definition thanks to the meticulous work of an anonymous restorer @DeusExFilmProf. By replacing the original low-res sequences with sharper, more complete excerpts, this restored version truly honors the creators' vision.

As shared by the artisan himself on Twitter, this monumental labor of love took over 2 years of digging up unseen gems and fine-tuning the newly edited sequences as well as recreating the title sequence in After Effects.

By rediscovering the dance of light and shadows on the screen, one can't but marvel at cinematography’s ability to stir emotions, to weave stories without words. This is a timeless masterclass on the art form's very core.

For cinematographers, cinema enthusiasts and budding filmmakers alike, this restored version of "Visions of Light" is an invaluable gift.

28 septembre 2023

Dissonances narratives : l'art du contrepoint visuel

La pauvreté doit-elle forcément être soulignée par des images tristes?
© Warner Bros

Alfred Hitchcock révélait, lors d'un entretien mémorable avec François Truffaut en 1962, une notion qui demeure révolutionnaire : il filmait les scènes de crime comme des scènes d'amour, et inversément.

Cette déclaration, immortalisée dans l'ouvrage "Hitchcock/Truffaut", met en lumière l'idée que le cinéma, en tant que langage visuel, offre une palette de techniques pouvant être appliquées de manière transversale pour susciter une gamme d'émotions variées, qu'il s'agisse d'un baiser passionné ou d'un coup de poignard fatal.

Ce principe d'interchangeabilité, voire de contrepoint, soulève une question intrigante : la cinématographie doit-elle être l'écho du scénario, ou peut-elle le défier, offrant ainsi au spectateur une couche supplémentaire d'interprétation ?

En explorant le travail de la cheffe opératrice Mandy Walker sur ELVIS, ces questions se posent avec une certaine évidence, invitant à une réflexion sur le rôle et les possibilités de la cinématographie dans la narration cinématographique.

Dans d'innombrables interviews de chefs opérateurs, le cinéma est souvent loué pour sa capacité à unir le visuel et le narratif en une symbiose harmonieuse: le visuel est supposé accompagner et augmenter ce que le scénario évoque.
 
Cependant, la discussion autour d'ELVIS et du travail de Mandy Walker incite à une interrogation : la cinématographie doit-elle toujours marcher au pas du scénario, ou peut-elle emprunter des sentiers moins battus, offrir des contrepoints, voire contredire la narration elle-même ?



Dans ELVIS, la cinématographie épouse de près le parcours narratif. Le basculement des optiques sphériques vers les anamorphiques, bien que techniquement intéressant, semble redire ce que le scénario nous murmure déjà. Elles transmettent une transition de l'innocence à la complexité, une métamorphose visuelle qui échoit au parcours d'Elvis. Mais n’y avait-il pas là une occasion manquée de creuser plus profond, de proposer une autre lecture, de jeter une lumière différente sur les évènements ?

En choisissant de refléter plutôt que de défier la narration, la cinématographie pourrait-elle avoir réduit l'espace pour une interprétation alternative ? Un choix moins littéral aurait-il pu offrir une texture additionnelle, une subtilité, une profondeur qui aurait échappé autrement à l'œil ?

À l'image, les débuts dans la pauvreté sont soulignés par une palette de couleurs verdâtres et désaturées, puis l'ascension vers la gloire est illustrée par des couleurs riches et glamour, puis la trajectoire descendante voit les contrastes s'accentuer, les zones d'ombre envahir l'écran. Ces transitions, bien que poétiques et pleines de bonnes intentions, retracent fidèlement la trajectoire d'Elvis. 



Oui, mais… Et si la lumière avait été utilisée de manière contrapuntique ? Une enfance pauvre mais riche de nuances aurait pu évoquer, rétrospectivement, la perte d'une certaine forme de bonheur simple; Et des zones de pénombre dans les moments de succès d'Elvis, les fissures sous le vernis, les ombres au cœur de la célébrité.

Même réflexion pour les mouvements de caméra. Ils vibrent au rythme d'Elvis, oui, mais auraient-ils pu, à certains moments, s'écarter, se calmer, révéler ce qui échappe, ce qui se cache en périphérie ?

Les choix de Mandy Walker sont indéniablement empreints de maîtrise technique et d'une compréhension profonde du scénario. Néanmoins, ils invitent également à la réflexion : la cinématographie, dans son désir de cohérence narrative, perd-elle parfois l'opportunité de questionner, de contester, d'explorer au-delà du texte?

En déviant du chemin tracé, en proposant des contrepoints visuels, la cinématographie peut ouvrir de nouvelles portes de compréhension, invitant le spectateur à voir au-delà de l'évident, à questionner le visible et l'invisible.


Dans « In the Mood for Love» (2000), le chef opérateur Christopher Doyle explore avec audace le concept de contrepoint en cinématographie. Au cœur d'une histoire où les silences en disent long, Doyle crée un écrin visuel saturé de couleurs vives qui semblent presque vibrer avec l'intensité du désir non réalisé et de la mélancolie qui imprègnent chaque scène. 
Ce choix crée une tension visuelle palpable qui contraste avec la retenue émotionnelle des personnages, enrichissant la narration d'une manière subtile mais puissante. 

In the Mood for Love - © Block 2 Pictures, Jet Tone Production, Paradis Films

Là où les mots sont absents, les choix visuels de Doyle parlent, offrant une résonance émotionnelle qui transcende les dialogues. Ce contraste entre l'expression visuelle exubérante et la sobriété émotionnelle des protagonistes crée un espace d'interprétation riche, permettant au spectateur de ressentir l'ardeur sous-jacente et la tension non exprimée. 

C'est un parfait exemple de la manière dont la cinématographie peut offrir des contrepoints, enrichissant la trame narrative en proposant une dimension visuelle qui, tout en étant en désaccord apparent avec l'expression émotionnelle des personnages, amplifie la profondeur de leur expérience intérieure. 

Il pose ainsi un regard réfléchi sur la manière dont le non-dit, le sous-entendu et l'inexprimé peuvent être magnifiquement capturés et communiqués à travers les choix esthétiques en cinématographie.

Alors, la prochaine fois que la lumière s'éteint dans la salle, et que le film commence, demandons-nous : que me dit la cinématographie, et surtout, que ne me dit-elle pas ? Et dans cet espace silencieux, quelles vérités pourrais-je découvrir ?



Interview de Mandy Walker dans l'excellent Go Creative Show de Ben Consoli. Ben est lui-même chef opérateur, ce qui nous vaut des interviews très pointues.

18 septembre 2023

Décisions artistiques : faut-il tout figer sur le plateau ou garder des options pour la post-prod ?

Couleurs, contrastes, noir détail, textures: à quel moment faut-il figer nos options?
(© Midjourney et moi 😇)

On me pose souvent la question: vaut-il mieux figer certaines décisions artistiques importantes pendant le tournage, ou se laisser un maximum d'options en post-prod?

La seconde édition d'Euro Cine Expo s'est tenue du 30 juin au 1er juillet 2023 à Munich. Elle a permis à plusieurs directeurs de la photographie, étalonneurs et représentants de fabricants de caméras de participer à une table ronde organisée par le comité technique d'IMAGO. Celle-ci était dédiée au débat sur le choix d'enregistrer ou non les décisions artistiques sur le plateau ou en postproduction.

Les participants ont partagé leurs réflexions sur ce sujet important. Quels sont les avantages et inconvénients de chaque méthode ?

Un article du Cinematography World de sept/oct 23 (lien en fin de post) présente sur trois pages les opinions de onze participants, dont pour la France celle de Pascale Marin, AFC. Elle en résume bien les enjeux:

« Personnellement, sur les films sur lesquels je travaille aujourd'hui, ce sont généralement les réalisateurs qui ont le dernier mot sur les décisions artistiques. Mais dans quelle mesure sont-ils inflexibles ? Mesurent-ils bien les répercussions de leurs choix ou de leurs changements d'avis ?

C'est à moi de le découvrir. C'est à moi de les aider à concrétiser leurs idées jusqu'au bout, voire plus loin, mais pas de les empêcher de revenir en arrière si cela fait partie de leur processus créatif. Et tout cela dans un temps et un budget donnés, sans compromettre le travail des autres départements. Par conséquent, plus que tout, c'est une question de communication, sincère et éclairée.»

Roberto Schaefer AIC ASC ITC soulève un point important quant au contrôle des images:

« En tant que directeur de la photographie, j'estime qu'il est en fait constructif de figer certains paramètres pendant le tournage. Cela aide à construire l'image que nous voulons pour le rendu final, même si ce n'est pas complètement l'image que nous mettrons au point lors de l'étalonnage numérique — si nous pouvons y assister. De nombreux éléments peuvent empêcher le directeur de la photo d'être présent à l'étalonnage - travail, distance et non-coopération des producteurs. 

Les Looks ARRI 35 intégrées dans les fichiers OCN sont utiles pour nous afin de contrôler nos images finales. Si les rendus étaient purement dans les métadonnées, rien ne garantirait qu'ils seraient appliqués en postproduction.»

La discussion se poursuivra lors d'une seconde table ronde à Camerimage 2023, avec le soutien d'Euro Cine Expo et Cinematography World.

SUCCESSION DES DÉCISIONS: 

PRÉPARATION

Style, références, moodboards, déclarations d'intentions, etc.

PLATEAU

Éclairage
Découpage
Placement de la caméra
Maquillage, etc.

OPTIQUES

Types d'objectifs
Filtres optiques
Objectif sphérique / anamorphique

CAMÉRA

Format d'image
Résolution
Type d'enregistrement : RAW / Codec
Courbes gamma
Contrôle de la netteté
Contrôle de la texture : débruitage / bruitage

POSTPRODUCTION

Dématriçage
Contrôle de la netteté (RVB, détails, et floutage de zones)
Étalonnage
Courbes tonalité ou "gamma"
Émulation "film"
Ré-éclairage (Relighting)
Recadrage, redimensionnement
Outils de contrôle de texture
Débruitage / bruitage
Distorsion / déformation
Stabilisation

Pour simplifier la prise en compte des arguments pour et contre, je les ai synthétisés en une liste: 

Décisions artistiques sur le plateau


Avantages :


  1. Retour visuel immédiat : les directeurs de la photographie peuvent voir les effets de leurs décisions pendant le tournage, permettant des ajustements rapides.
  2. Contrôle créatif : permet un contrôle précis de facteurs tels que les couleurs, la texture, la netteté et le bruit pendant le tournage.
  3. Préservation de l'intention : assure que le rendu souhaité est capturé tel qu'imaginé, réduisant le risque de modifications en postproduction.
  4. Efficacité : économise du temps et des ressources en finalisant certains éléments artistiques durant la prise de vues.
  5. Personnalisation : certaines caméras proposent des options pour personnaliser les textures et les ambiances, offrant ainsi de la flexibilité.

Inconvénients :


  1. Moins de flexibilité : capacité limitée à apporter des modifications majeures après la prise de vues, ce qui peut poser problème en cas de changement de direction créative.
  2. Défis techniques : nécessite que les directeurs de la photographie aient une compréhension approfondie des capacités et des réglages de la caméra.
  3. Intégration dans le flux de travail : peut ne pas correspondre au flux de travail en postproduction, ce qui peut causer des problèmes dans les projets collaboratifs.

Décisions artistiques en postproduction


Avantages :


  1. Flexibilité : offre la possibilité d'apporter des modifications importantes à l'image lors de la postproduction, ce qui permet de s'adapter à des changements de direction créative.
  2. Collaboration : Permet les contributions d'étalonneurs et d'autres spécialistes pour peaufiner le rendu final.
  3. Atténuation des risques : fournit une sécurité pour les problèmes inattendus pendant le tournage, car des ajustements peuvent être apportés ultérieurement.
  4. Variété : plusieurs options créatives peuvent être explorées sans s'engager dans un rendu spécifique durant le tournage.

Inconvénients :


  1. Chronophage : les ajustements en postproduction peuvent prendre beaucoup de temps, retardant le produit final.
  2. Coût : Des dépenses supplémentaires peuvent être engagées pour les ajustements en postproduction.
  3. Perte de contrôle : les directeurs de la photographie peuvent avoir moins de contrôle direct sur le rendu final, en fonction de la collaboration.
  4. Complexité du flux de travail : coordonner les modifications en postproduction avec d'autres départements peut être difficile.


J'aimerais ajouter que pour les tournages qui n'ont accès qu'à des caméras compressant le signal image, il est préférable d'enregistrer des images au plus près du résultat final escompté plutôt que de compter sur la postproduction. Figer des choix sur le plateau (à propos d'une dominante couleur, par exemple, ou du réglage du rendu des Blancs par "l'épaule" - KNEE en anglais - de la courbe) permet à la caméra de maximiser le rendu d'image dans son domaine réduit de compétence. Et évite de révéler les défauts inhérents à ce type d'images lors des corrections ultérieures. 


Les participants au panel:

Aleksej Berkovic RGC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Suny Behar - directeur de la photographie/réalisateur (HBO Camera Assessments Series)
Stefan Grandinetti BVK - directeur de la photographie et professeur de cinématographie
Daniel Listh - Sony, spécialiste des solutions d'acquisition de contenu
Pascale Marin AFC - directrice de la photographie
Dirk Meier BVK CSI - étalonneur senior et membre titulaire d'ITC
Philippe Ros AFC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Roberto Schaefer AIC ASC - directeur de la photographie et membre titulaire d'ITC
Tamara Seybold - ARRI, responsable scientifique de l'image et membre d'entreprise d'ITC
Loren Simons - Red Digital Cinema, conseiller principal en technologie cinématographique
Marc Shipman-Mueller - ARRI, chef de produit senior pour les systèmes de caméra
David Stump ASC MITC et co-président d'ITC - directeur de la photographie
Ari Wegner ACS ASC - directrice de la photographie
Rauno Ronkainen FSC - directeur de la photographie et professeur de cinématographie à l'Université Aalto, Département du cinéma et de l'école des arts

https://www.cinematography.world/cw-017-digital/

16 juin 2023

Shedding Light on the Rohingya Crisis: The Aesthetic Journey in 'Lost at Sea’

 


'Lost at Sea' weaves in less than 5 minutes a touching narrative of Rohingyas and all people cast adrift from their homes, portraying their nighttime voyage with vivid emotions and evocative visuals.

Based on actual footage, these compelling visuals piqued my cinematographer's interest, sparking a desire to chat with the artists who crafted this piece and to share it with you.

So here is an interview with the directors Andrés Alejandro BARTOS AMORY and Lucija STOJEVIC, conducted during the 2023 Annecy International Animated Film Festival.

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PMO: I'm intrigued by your film, not just for its stunning visuals but also for its beautiful score and the narrative itself.

Andrés Alejandro BARTOS AMORY: I appreciate your comment. Our intention with this film was indeed to elicit strong emotions from the viewers.


PMO: It's quite a heavy narrative, filled with emotion, yet it doesn't succumb to pathos or heavy effects. That's a commendable achievement. And speaking of visuals, let's mention the animator, Richard Swarbrick. 

Lucija STOJEVIC: Indeed, Richard's talent significantly contributed to the unique visual style. But it's crucial to understand the process behind it. The film is based on an actual testimony. 

AB: Right. From that testimony, we began developing the script, concurrently conducting thorough archival research since the film's visuals are inspired by real images

We delved into various news archives, documentaries, and photography to depict the Rohingyas, especially during the COVID pandemic when travel was restricted. 

With no opportunity to travel, we had to rely on these sources to maintain authenticity in our storytelling.

LS: And accessing these materials wasn't always easy.

One of the key pieces of footage was from a boat carrying Rohingyas. It was a challenging process to obtain permission for its use. However, utilizing animation allowed us to provide audiences with a vivid experience without losing the emotional intensity of the refugees' plight.


PMO: I see. While the film specifically tells the story of Rohingyas, it seems to resonate with the experience of boat refugees universally. 

AB: Exactly. That was our intention. The Rohingyas, often depicted as masses of people fleeing their homeland, are generally perceived as an indistinguishable crowd. We wanted to break this stereotype by telling the story of an individual. 

We sought a personal perspective, which is why we centered the narrative around a Rohingya named Muhib.

Muhib's testimony about his childhood and his yearning for his Burmese classmates was a significant part of the narrative. 

LS: Yes, those human moments revealed the transition in his life and his environment. Another pivotal moment was understanding the Rohingyas' oral history tradition, which influenced the structure and narrative of our film.

We were aware that Rohingyas, due to the lack of a written language, often rely on songs and oral stories to pass down their history. So, we incorporated this cultural element into the film.

AB: That’s where we should mention Mayeux, a poet who contributed to the film while living in the Cox's Bazar refugee camp. 

Mayeux, now living in Canada, collected and converted people's experiences into poetry. He even composed a second book comprising lullabies, songs, and stories. 

LS: His wife is the one who sings in the film. She recorded the first version of the song in Cox Bazar’s camp.


PMO: Wow, that's remarkable. It seems like you've put significant effort into ensuring that the Rohingyas' voices are authentically represented.

LS: Exactly, we wanted the film to pay tribute to the Rohingyas by using their narratives and language. It was important to give voice to a community that often goes unheard.



PMO: And in terms of visuals, the archival footage was crucial in setting the emotional tone, right?

AB: Absolutely. We also played with two different color palettes to highlight the contrast between the harsh realities of the sea journey and the warmth of Muhib's childhood memories, in Rakhine State, in the western part of Myanmar.

LS: And to create these visuals, we worked with both actors and non-actors, some in a controlled studio environment, while others were filmed out at sea.

AB: Filming in a green screen studio gave us control over the lighting and sound, while shooting at sea, handheld, provided authentic and dynamic footage. This combination helped us in character building and setting the narrative's tone.


PMO: And throughout this process, animator Richard Swarbrick was involved, guiding you on what kind of reference footage he needed?

AB: Yes, it was an ongoing dialogue to understand his requirements. Since he often works with composite visuals, he guided us in creating the background and the main characters.


PMO: The technique used in your film does remind me of Rotoscopy, but it's not quite the same. It's not a photocopy of reality, but more of an interpretation.

AB: Richard Swarbrick, our animator, indeed captures movement and action in a unique way. He uses an approach that's almost impressionistic and dreamy, which is very different from the more literal interpretations in films like 'Scanner Darkly' or ‘Waltz With Bashir’. Richard's work can make you feel that there are real beings behind, but they are so much stylized that it feels both real and dreamlike at the same time.

We found Richard through a project he had done previously with archival work. His sensitivity in capturing expressions, especially the eyes of the characters, caught our attention. His approach to animation allowed us to show the characters' eyes, which was crucial to our storytelling.


LS: Our initial approach towards the project was quite different. We initially thought of finding a famous voice-over artist related to the conflict zone. However, we later realized that it was more important to let the voiceless, stateless Rohingyas speak for themselves. So we decided to focus more on authenticity rather than finding a star for the voice-over.

AB: Once we reached picture lock, the stage at which the edit cannot be touched any further because the animation and sound work are based on it, we agreed on the direction of the project. Sound design was also an ongoing process during this time.

The project had four main elements, and we needed to find a balance among these within our resources and budget. There were our ideas, Richard's needs, the binaural sound design, and the music. 

LS: The binaural sound was a vital aspect of the film, as we wanted to create spaces for the audience to be immersed in through the sound. However, this desire for immersion led to a question of balance. Richard, used to a more commercial style of quick cuts, was concerned about having prolonged sequences that may not be visually engaging, like a two-minute scene of just the sea. We were striving to extend such sequences for a deeper immersive experience, and striking a balance between these two perspectives was crucial.

AB: Lastly, music was another critical element. While we had the mother's song, there was also composed music. Richard's work is significantly influenced by music and rhythm, so integrating these musical components effectively was a significant part of our process.


PMO: Why did you start the film in darkness, during the night ?

AB: This decision was largely informed by the nature of our archive footage. The most powerful footage we had was captured by a film crew on a boat with Rohingyas escaping in the night. Shot in night vision, it gave us a single point of light with everything else almost hidden in darkness, and the people appearing as just silhouettes. This was the first time viewers get to see mothers with their children, people praying, and the sparks from the boat's diesel engine, details that make the situation palpable.

We saw it as a metaphorical 'dark night of the soul' for the world, which we gradually unravel throughout the film. It provided a stark contrast and a way to focus on the subject matter, instead of presenting a highly detailed picture.


PMO: The lighting by zones and layering used in the film is something not typically seen in animated films. It focuses our attention, and is both artistic and functional due to the situation being depicted.

AB: Richard's use of lighting in the film is indeed very captivating. The transitions between the adult and child characters, which happened mostly through the face, were done very effectively. 

Unfortunately, Richard could not be present here for this interview, but he's always busy with multiple projects, including advertising and Netflix series.

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This article will be completed with Richard's interview if his commitments allow him the time.
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Credits: all pictures are © Noon Films S.L