« Ridley m’a appelé et m’a dit : “On y retourne. Tu en es ?” Nous avons repris exactement là où nous nous étions arrêtés. » Ainsi, John Mathieson, BSC, résume avec humour, dans une interview accordée au magazine Cinematography World (en anglais), son retour à l’univers de Gladiator. Pour cette suite ambitieuse, il a dû conjuguer une vision artistique exigeante avec les réalités logistiques et techniques d’un film de grande ampleur, tout en restant fidèle à une esthétique tangible et immersive.
Une logistique pharaonique
Recréer l’ampleur épique de Rome pour Gladiator II a impliqué une logistique impressionnante. Les galères utilisées pour les batailles navales ont été construites en trois segments de 30 mètres et transportées au Maroc à l’aide de Self-Propelled Modular Transporters (SPMT). Une opération titanesque, mais essentielle pour respecter l’authenticité visuelle du film. Sur le plateau, Mathieson décrit une organisation gargantuesque : « À Ouarzazate, nous étions 2 700 à déjeuner. La plupart étaient des constructeurs de décors, mais l’équipe de tournage comptait quand même plusieurs centaines de personnes, du pré-rigging à l’éclairage en passant par les caméras. »
Le tournage a également été marqué par une interruption de cinq mois due aux grèves de la Writers Guild of America et de la SAG-AFTRA. Cela a nécessité une réorganisation complète des lieux et des calendriers. « Il fallait rester flexible, anticiper l’imprévisible : les grèves, le mauvais temps, les réécritures. Il fallait être liquide », confie Mathieson.
Neuf caméras dans l’arène, des diaphs très fermés
Mathieson a dû composer avec des exigences nouvelles en passant de la pellicule au numérique. Contrairement au premier Gladiator, tourné en Super 35 mm avec deux ou trois caméras, cette suite mobilise jusqu’à neuf caméras simultanément, principalement des ARRI Alexa Mini LF et quelques Z Cam pour des prises spécifiques. « Ce choix n’était pas romantique. Il fallait des caméras fiables et standardisées, capables de fonctionner dans des conditions extrêmes. »
Les zooms étaient au cœur de sa stratégie : Angénieux Optimo Ultra (36-435 mm), Optica Elite (120-520 mm avec doubler), Primo 70 (28-80 mm et 70-185 mm). « Les fixes sont restées dans leurs boîtes. Les zooms nous ont permis une flexibilité totale pour capturer l’échelle des scènes. »
Pour exploiter pleinement les décors détaillés et donner vie à chaque recoin du cadre, il a opté pour des ouvertures profondes, allant de T8.5 à T16 : « Je voulais que l’arrière-plan soit vivant. Chaque figurant, chaque élément du décor devait participer à la narration. Ces diaphragmes serrés permettent de conserver le décor et les figurants nets sur plusieurs plans. »
Les LED, trop froides pour un univers antique
Pour Mathieson, les LED manquent d’authenticité et ne peuvent remplacer le tungstène : « Le tungstène offre une richesse de couleur et une profondeur incomparables. Les LED manquent de chaleur et semblent artificielles. » Cette conviction l’a conduit à privilégier les Maxi et Mini Brutes en tungstène pour les scènes nocturnes, et à éclairer les grandes scènes comme le Colisée avec des grappes d’ARRIMAX 18K montées en hauteur.
Il préfère également illuminer depuis l’extérieur, même pour les intérieurs, afin de conserver une lumière naturelle : « Je n’éclaire jamais depuis le plafond. Où serait cette source dans un drame antique ? » Pour les visages, des rebonds ultra-larges (20x20 pieds) ont été utilisés pour adoucir les ombres, notamment dans des espaces profonds comme la loge impériale.
Réutiliser la pellicule : quand le passé rencontre le numérique
À l’étalonnage, Mathieson a veillé à maintenir une continuité visuelle avec le premier film. « Ridley voulait même réutiliser des plans du premier film, tournés en Super 35 mm. J’étais sceptique. Comment ces négatifs, de la taille d’un timbre, tiendraient-ils face aux images des Alexa LF ? Finalement, la transition est imperceptible. »
Certaines séquences, comme celle de l’au-delà, ont nécessité un traitement spécifique. Inspirée par Man Ray et Bill Brandt, elle utilise des textures noir et blanc solarisées et des reflets argentés pour une ambiance onirique. D’autres segments, comme les flashbacks, ont posé des défis visuels que Mathieson avoue avoir laissés en partie à l’appréciation du coloriste.
Décors physiques : une contrainte devenue un atout visuel
Mathieson décrit son attachement à tourner sur des décors réels et dans des environnements variés, loin des studios : « Voyager, découvrir des lieux que je n’aurais jamais vus autrement, c’est ce qui me passionne », confie-t-il. Tourner à Malte, au Maroc ou au Royaume-Uni, loin des studios, lui a permis de nourrir son inspiration, malgré des conditions parfois éprouvantes, comme la chaleur accablante ou des changements lumineux brutaux en extérieur.
Cette authenticité, alliée aux contraintes imprévues, enrichit l’image finale : « Ridley voulait des angles multiples, mais chaque plan devait rester précis et raconter l’histoire. » Une exigence qui reflète une approche rigoureuse de la lumière et du cadre, où chaque choix technique est une brique essentielle à la construction d’un langage visuel cohérent et puissant.