La question de l’éco-responsabilité sur les plateaux de tournage s’invite discrètement dans nos pratiques. Mais les vieux réflexes ont encore la vie dure.
Je ne prétends pas avoir une méthode exemplaire. J’observe, j’expérimente, je tâtonne. Et je reste, comme beaucoup, en questionnement.
Le premier geste, le plus élémentaire, consiste à éteindre les sources quand elles ne sont pas utilisées. Pendant les pauses, entre les prises. Une question d’attention.
Travailler avec le soleil
La lumière naturelle offre, quand les conditions s’y prêtent, un rendu que peu de projecteurs égalent. Je l’utilise dès que possible, surtout dans les régions très lumineuses comme le Maroc. J’y travaille souvent avec de grands réflecteurs ou des miroirs, que l’on déplace au fil de la journée, parfois en plusieurs rebonds avant d’entrer dans une pièce par une fenêtre. Cette manière de sculpter la lumière impose un rythme. Et ce rythme devient une forme d’écologie : c’est le soleil qui dicte la fin de journée.
Mais cette approche ne convient pas à tous les contextes. Elle demande une rigueur de tournage, une préparation précise, et un réalisateur prêt à composer avec des contraintes spécifiques. Ce n’est pas toujours compatible avec des plateaux très créatifs ou techniques. Il faut être prêt au bon moment. Il faut s’adapter.
Composer avec les LED
Aujourd’hui, nous utilisons massivement des LED. Elles consomment moins, chauffent un peu moins, offrent une flexibilité appréciable. Mais leur spectre lumineux reste imparfait. Même parmi les modèles les plus sophistiqués, certains accusent des creux préoccupants dans certaines longueurs d’onde.
J’ajoute donc parfois une petite source tungstène, discrète, bien placée. Non par nostalgie. Mais pour restituer avec précision les couleurs du visage ou d’un élément clé du décor.
Gagner en souplesse après la prise de vue
Le vrai levier énergétique, aujourd’hui, se trouve peut-être en post-production. Avec des outils comme DaVinci Resolve, les possibilités de traitement de l’image — modelage, débruitage, ajustements fins — se sont considérablement élargies. On peut tourner avec des ISO plus élevés qu’avant, sans craindre d’introduire du bruit. Ce gain de tolérance permet de travailler avec moins de lumière sur le plateau. Parfois deux diaphragmes de moins, soit quatre fois moins de lumière.
Mais faut-il pour autant tout transférer à la post-prod ? Je n’en suis pas certain. J’aime tourner avec des valeurs d’exposition confortables. Cette approche permet de préserver les nuances dans les noirs et facilite le travail du pointeur. L’enjeu n’est sans doute pas de relâcher l’attention sur le plateau, mais de répartir autrement les façons de contrôler l’image.
Réduire l’empreinte écologique d’un tournage, c’est une affaire de gestes simples. Limiter les déchets, éviter la surenchère technique, privilégier ce qui est réparable, durable. Mais la surenchère ne se limite pas aux projecteurs ou aux caméras.
L’impact invisible des images très définies
On oublie parfois qu’une vidéo en 4K, ou en définition encore supérieure, ne nécessite pas seulement plus d’espace de stockage ou un ordinateur plus puissant. Elle demande aussi des infrastructures invisibles : des serveurs plus nombreux, des flux plus lourds à transporter, des ressources plus importantes pour diffuser et visionner ces images sur les plateformes. Tourner plus net, plus grand, plus défini... a aussi un coût environnemental.
Au fond, ce genre de question renvoie toujours à autre chose : la technique ne peut pas être dissociée du dialogue. Échanger avec l’équipe. Prendre le temps de réfléchir ensemble à d’autres manières de faire.
Ce qui me semble plus délicat, c’est de mesurer réellement le gain écologique. Une source LED consomme peu une fois allumée, mais comment est-elle produite ? Quelles ressources a-t-elle mobilisées ? Et comment sera-t-elle recyclée ? Certaines réponses restent floues. D’autres questions ne sont même pas encore posées.
Nous sommes à un tournant. Celui où les bonnes intentions doivent s’accompagner d’une conscience plus large. Celui où chaque choix technique résonne bien au-delà du plateau.
Alors comment créer sans consommer, raconter sans épuiser ?
Peut-on encore filmer le monde sans l’altérer davantage ?