On parle peu de l'importance capitale du cadrage, et on le remarque davantage quand il est inhabituel. Il est vrai que 98% des films sont cadrés sans grande imagination mais un film récent prouve qu'il peut contribuer à renforcer considérablement la tension dramatique.
Les images de "Cloverfield" mettent le cadre au premier plan, obligeant pour une fois le spectateur à le prendre en compte.
Les effets de réel de "Cloverfield" dépendent en effet presque entièrement de la manière de manipuler la caméra. Décadrages, flous intempestifs, plans aléatoires, sous-expositions, balance des blancs approximative et mouvements de caméra dictés par les émotions plutôt que par la réflexion: tous ce que les pros s'interdisent est ici obligatoire. Prenant exemple sur ce que les amateurs surpris avaient filmé dans les rues de New York le 11 septembre 2001, l'équipe image du film démultiplie l'effroi du spectateur en laissant une grande partie de la terreur hors-champ ou dans le noir. Plus occupé à courir ou à s'abriter qu'à faire de "belles images", le vidéaste amateur du film n'anticipe rien de ce qu'il filme. De toute manière il n'a droit qu'à une prise. Tout au plus est-il conscient qu'il documente quelque chose d'essentiel.
Ces cadrages à la fois maladroits et touchants sont souvent au service d'effets brutaux, mais une séquence grave et calme fait exception - celle où l'un des jeunes doit apprendre à sa mère, au téléphone, que son frère est mort. Cette séquence dégage une émotion bien plus forte par le fait qu'elle est filmée de loin, avec pudeur, par son meilleur ami. Le cadrage reflète alors directement son déchirement intérieur.