22 février 2011

La question du reflet du wind-up

La voiture et le ballon éclairant. Un plan (sans reflet de wind-up) du "Revolver" de Guy Ritchie (2005)



Pendant une prise, ça commence souvent comme une petite agitation autour du combo. Dès le "coupez", c'est l'effervescence: "On voit le reflet du wind-up!" Tous les regards se tournent vers le Chef op ou le Gaffer. Qui se dirigent vers le moniteur pour voir la prise. Une jolie prise: l'actrice était parfaite et le mouvement de caméra très juste. 
Dans son coin, l'ingé son annonce à qui veut bien l'écouter que cette prise était de loin la meilleure. Mais autour du combo, personne ne l'écoute. A la fin du plan, juste avant que la comédienne ne quitte le champ, on voit... 
Quelqu'un appuie sur "pause".
- Là!
- Quoi?
- Cette ligne verticale grise.
- ...
La scripte est péremptoire:
- C'est le reflet du wind-up* dans l'armoire.
- Oui et alors? C'est une ligne parallèle à la porte de l'armoire, ça pourrait être n'importe quoi dans la pièce.
- En l'occurrence, c'est le wind-up. Faut le bouger.

Le réalisateur, décontenancé par toute cette agitation, se range à l'avis de la scripte. Le premier assistant me demande alors, inquiet, "Combien de temps?"

La question que j'aborde dans ce post est plutôt: "Faut-il VRAIMENT bouger ce wind-up?"
Faut-il impérativement éliminer tous les reflets, ombres et brillances (du matériel ou de l'équipe) qui apparaissent à l'image, au risque de perdre du temps, de rater un moment magique, de compliquer l'install', ou de déconcentrer les acteurs?

Jusqu'à récemment, ma réponse était toujours "oui". Sans même réfléchir. Même si ça impliquait cinq minutes de modifs pour préserver, envers et contre tout, le climat de la séquence.

Comme je cherche la simplicité, chacune des sources que j'installe est cruciale. Sa puissance, son emplacement, son pointage, ses accessoires, tout est réfléchi en fonction des contraintes et du rendu final.
Lorsque mon équipe place une source, je fais bien évidemment un check de tous les reflets et ombres portées qu'elle implique, en fonction du cadre. Si je choisis d'assumer un reflet, c'est que je juge qu'il ne sera perceptible que par des gens de cinéma.
Quel spectateur pointe les lunettes de soleil de DiCaprio en s'écriant: "Reflet de Chimera!"?

Au cinéma, je ne suis pas du genre à relever avec un sourire moqueur les faux raccords et le matériel qui traîne dans le champ. Je laisse ça aux spécialistes en Goofs qui listent tout ça avec une ténacité effrayante dans les fiches de l'IMDB. 

Mais mon oeil détecte - c'est plus fort que moi - les ombres, marques, reflets et traces qui révèlent l'équipe et le matériel mobilisés pendant un plan. Et le record en matière de traces visibles, ceux qui semblent se ficher comme d'une guigne du reflet de Chimera, ce ne sont ni les Français, ni les Belges ou les Sud-Coréens. Ce sont les Nord-Américains. Dans les films à budgets pharaoniques. Des films qui se tournent sur 4 mois ou plus, avec des équipes de centaines de personnes hyper-spécialisées, attentives aux moindres détails. Des films où l'on s'imagine que le reflet d'un wind-up sur une armoire serait jugé comme une faute grave, passible de la Cour Martiale.

Dans "Transformers - Revenge of the Fallen", un film budgeté à 200 mio de dollars, les ombres caméra sont légion. Et pendant une conversation téléphonique entre Sam et sa copine, on voit clairement un grand projecteur Fresnel sur son pied dans la chambre de Sam.
Ne me dites pas que personne ne l'a vu sur les 4 ou 5 moniteurs de contrôle du plateau. S'est-il trouvé quelqu'un pour pointer le moniteur, faire une remarque et stopper le tournage? Bien évidemment, non. Pourquoi? Parce que chez les pros, chacun assume ses responsabilités.

Et vous, aviez-vous détecté ce gros Fresnel dans la chambre de Sam? Il y a de fortes chances que non.
Je vous l'accorde, "Transformers 2" n'est pas un chef-d'oeuvre mais ça n'est pas le sujet. C'est un film qui a réuni sur son plateau plus de 500 des meilleurs techniciens de Hollywood.

Alors, au risque de passer pour un chef op psycho-rigide et non professionnel, la prochaine fois qu'on me demandera de virer un reflet que je juge acceptable, je réfléchirai avant de lancer des instructions. Et je répondrai sans doute, le plus calmement possible, "Non".

Et vous, quelle est votre opinion sur le sujet?

________

Pour synthétiser: c'est clair que ça pose la question du perfectionnisme, qui est un défaut pour certains (la Prod, le Premier) et une qualité pour d'autres (la Réa). Il faut trouver un équilibre, et c'est justement en laissant tomber les détails que le spectateur ne verra pas.

* Un wind-up est un trépied métallique massif, qui se déploie à l'aide d'une manivelle. Une fois chargé et déployé, il est difficile à déplacer.
Je comprend le regard inquiet du Premier Assistant.


13 commentaires:

  1. David Jacques23.2.11

    Réflexions (ho ho) fort intéressantes que tout ça. Chose étonnante, j'ai personnellement l'impression que plus le projet est modeste en terme de budget, plus les réalisateurs sont à l'affut de ce genre de détails.

    A croire que le moindre reflet ou ombre de matériel est pour eux synonyme d'amateurisme (état de fait bien ironique au vu des exemples que tu cites)

    Bon courage pour ton blog, dont chaque note est un plaisir à lire !

    RépondreSupprimer
  2. Ton blog est un régal pour mes yeux de lecteur attentif !

    RépondreSupprimer
  3. Ça confirme que je ne fais pas partie des "gens du cinéma" parce que j'ai beau chercher, je vois pas le problème :/

    RépondreSupprimer
  4. Opinion d'un spectateur :
    Quand on est pris par le film (action, histoire, rythme, photo, jeu...) on ne s'aperçoit généralement de rien.

    Maintenant je peux comprendre cette recherche de "l'image sans défaut".

    Un peu comme quand tu fais une photo (je parle de photo fixe, techniquement c'est ce que je connais), que tu la trouve bonne (forcément) au premier abord, puis qu'après après avoir vu toutes ses petites imperfections ton euphorie retombe et tu ne vois plus que les imperfections/erreurs (au moins pendant un moment).
    Pour certains il est difficile après ça de se remettre à la place du spectateur qui lui s'attache à ce qu'elle dégage plus qu'à sa construction.
    Pour moi ça s'appelle prendre du recul sur ce qu'on réalise comme boulot (et ça marche à la fois dans le sens positif et dans le sens négatif)

    RépondreSupprimer
  5. @alienlebarge: qu'est-ce que tu entends par là? chercher quoi?

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour et merci encore, bon,pour ma part,je fais surtout du court métrage,mais de bonnes prods et un petit budget sympa, pour ma part ce genre de chose est arrivée, si la scène est bonne dans tous ces aspects,il vaut mieux la garder avec un reflet que la refaire.Et puis quelques fois,je fais enlever ce malheureux objet en post.En gros,je suis d'accord avec toi. merci encore.
    stephan

    RépondreSupprimer
  7. Edouard23.2.11

    Pour faire simple... tout est relatif ! :D
    Ce choix s'effectue au visionnage de la prise. Si effectivement le problème est flagrant (comme ce Fresnel dans Transformers) je pense qu'il est nécessaire de la refaire (à moins que la séquence requiert un équipement ou une performance d'acteur exceptionnel), même si la majorité des spectateurs ne le remarqueront pas.
    Après tout dépend du caractère perfectionniste du chef op'...
    Dans tous les cas, ces petits (ou gros) problèmes feront le plaisir d'Allociné et de leur émission Faux-Raccord ! :)

    RépondreSupprimer
  8. C'est clair que ça pose la question du perfectionnisme. Qui est un défaut pour certains (la Prod, le Premier) et une qualité pour d'autres (le réa). Il faut trouver un équilibre, et c'est justement en laissant tomber les détails que le spectateur ne verra pas.

    RépondreSupprimer
  9. @montjo le reflet du wind-up ... je le vois/trouve pas !

    RépondreSupprimer
  10. Samuel Guillemot25.2.11

    J trouve qu'une ombre de perche ou de camera est bqp plus gênante qu'un reflet de projo, qui est d'ailleurs très vite compliqué à gérer dès qu'on a des mouvements de caméras autour de fenètres et autres objets brillants. les problèmes sont à gérer au cas par cas, si une scène très intense ou un long plan séquence avec des mouvements compliqués est polluée par un reflet ou du matériel ds le champs c'est un vrai problème car cela peut tuer la séquence et faire ressortir le spectateur du film, ds une scène d'action ou de transition, le spectateur ne s'y arrêtera pas. je partage ton avis sur le fait de ne pas vouloir chercher la perfection technique à tout prix, et je suis finalement heureux de constater que mon oeil (un peu) avertit laisse passer bon nombres d'"erreurs", au profit de l'histoire.
    concernant transformerII, étonnant, vu le nombre de plans truqués qu'ils n'aient pas simplement retouché celui-ci pour gommer le fresnel...à moins que le héro n'aie un fresnel comme lampe de bureau!

    RépondreSupprimer
  11. Samuel Martin7.3.11

    Je suis d'accord avec Samuel (c'est rare de croiser autant de Sams dans un seul forum...) Une ombre de perche est plus grave car souvent mobile, donc forcément ça attire le regard.

    Tout dépend du temps passé sur "l'objet ou la réfléxion qui dérange". Dans un pano rapide, pourquoi pas, on pourrait laisser.

    Je suis en général pour laisser une réfléxion si le jeu d'acteurs était bon, le son, etc. etc., s'il faut absolument passer au plan suivant. Ce n'est pas gênant je trouve et comme tu le dis si bien Pascal, il n'y a que des gens de cinéma qui vont le remarquer... et encore.

    Sur certains films, des erreurs m'ont sauté aux yeux alors que pour d'autres non (caméra DANS LE CHAMP avec cadreur, dans "24" saison 1, flag)... et franchement, personne ne m'en a parlé.
    J'avais jamais vu non plus le cadreur et son assistant dans un des plans de "Robin des Bois PRince des Voleurs"... et pourtant d'autres oui. Et va savoir combien de fois je l'ai vu ce film. Pareil pour tous les Star Wars... j'ai juste pas envie de trop savoir.

    Honnêtement c'est pas gênant je pense. On s'en fout. QU'est-ce qu'une seconde ou un dixième de secondes de réflexion de projo ou d'équipe technique va changer à l'histoire.

    Pourquoi se focaliser sur ces erreurs alors qu'il reste 1h30 et 29 secondes de pur bonheur.

    L'erreur est humaine et permise dans beaucoup de métiers, on en fait pas tout un fromage.
    Mais j'ai l'impression que sur un tournage c'est LA FIN DU MONDE!!!

    On fait un film, on construit pas une nation, on change pas de République... Ca va, quoi!

    C'est comme certaines ombres projetées doubles... Sacha Vierny, justement dans ces Kodak Masterclass, dit: "il y en a qui jugent la qualité d'une image en comptant les ombres. Plus il y a d'ombres et moins l'image est bonne pour eux"...

    Ce n'est que du cinéma... On aime notre métier mais le spectateur lambda n'est pas aussi maniaque. La preuve, il aura sûrement oublié le film qu'il vient de voir dans le courant de l'année, aura oublié qu'il se trouve sur son disque dur... encore un film noyé dans l'indifférence des multiples sorties hebdomadaires. Et combien d'ulcères pour un film oublié??

    Faut s'calmer de temps en temps...


    Samuel MARTIN

    RépondreSupprimer
  12. J'ai envie de "liker" chacun de vos commentaires. Merci pour cet apport très riche!

    RépondreSupprimer
  13. Anonyme21.4.11

    Dans ce cas de figure, c'est au cas par cas... Mais la plupart du temps j'aurais tendance à dire "si ça ne bouge pas, ça ne se voit pas".
    J'ai tourné un plan un peu sombre (intérieur nuit) où le réalisateur est totalement dans l'image, derrière lui un réflecteur blanc... Mais il ne bouge pas.
    Je ne m'en suis même pas aperçu à l'étalonnage, seulement quelques mois plus tard en revoyant le film sur un écran un peu plus clair !!

    RépondreSupprimer