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Plus de la moitié des plans du film "Au Nom du Père" de Gesenn Rosset seront composités sur des matte paintings ou des photos retravaillées.
Le film était tourné en RED One et des raisons budgétaires et artistiques m'ont poussé à choisir des projecteurs Tungstène. Je souhaitais de toute façon utiliser une console DMX pour automatiser certains flickers aléatoires, et les Tungstènes sur variateurs donnent des teintes proches de celles des flammes.
Or donc, la RED préférant tourner aux alentours des 5500°K, j'ai opté pour un filtre 80D (bleuté), qui avait le mérite de nous approcher de la bonne température de couleur tout en ne "bouffant" qu'un tiers de diaph.
Restait à éclairer le fond vert. Sur un film comme celui-ci, un fond vert bien uniforme et au bon niveau ce sont des jours, voire des semaines de post-production économisés.
La déco a donc tendu à l'agrapheuse une feutrine verte pour aboutir à un cyclo bien lisse, mat, et de la bonne couleur (j'avais donné un échantillon exact pour prévenir toute catastrophe).
La meilleure façon d'éclairer un fond vert est de le saturer de vert diffus. Une solution relativement coûteuse revient à recourir à des Kinoflos munis de tubes verts.
Une solution low-budget est d'utiliser des cycliodes, ou des softboxes (aussi appelées "bains de pieds"), qui émettent une douce lumière bien étale.
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Pour les saturer de vert, nous les avons équipées de Primary Green:
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L'éloignement idéal des sources du fond est égal à la moitié de la hauteur dudit fond.
Une fois disposés à intervalles réguliers, en haut comme en bas du fond vert, les mesures peuvent commencer.
J'aime utiliser ma cellule en parcourant l'écran à la recherche d'écarts à la moyenne.
Mais la vision la plus précise est donnée par les courbes de mesures d'appareils comme l'Astro:
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L'objectif à atteindre (pour optimiser l'extraction) est d'aboutir à ce que l'écran vert soit illuminé aux environs de 60% (0 étant le noir et 100 le blanc, pour simplifier).
Ce qui revient à tenter d'afficher une ligne horizontale la plus mince possible (5 ou 10% d'écart de luminance).
J'avais demandé de diffuser les cycliodes, mais cette épaisseur supplémentaire nous faisait perdre un bon diaph. Le compromis a consisté à tolérer de très légers "trous" de lumière entre les cycliodes du haut, visibles sur les photos.
Sur l'Astro de la photo ci-dessus, on visualise rapidement que la partie gauche de l'écran n'est pas aussi régulière que la partie droite, et que cette dernière mérite encore beaucoup d'attention. Il est vrai que la caméra cadre le canapé sombre, ce qui fait baisser la moyenne.
Disons simplement que ces courbes sont des outils plus discriminants que l'oeil humain pour comparer des valeurs de luminosité.
Une fois l'écran équilibré, il faut veiller à ménager une zone de no man's land entre l'écran et l'aire de jeu des comédiens.
Les réflections vertes sur les visages doivent être traquées et combattues dans la mesure du possible. Sur la photo ci-dessous, vous voyez deux projecteurs (un "kick" et un "contre") qui imitent un soleil en 3/4 contre, et annulent des réflections vertes sur la partie droite du visage.
La partie gauche est protégée des reflets par un drapeau vertical, que vous apercevez au fond, derrière l'Astro. La position de ce drapeau se détermine en considérant que le visage est comme un miroir, et que la portion d'écran vert à oblitérer se trouve derrière le comédien, à un angle exactement similaire à celui entre l'objectif et le comédien (en l'occurrence une vingtaine de degrés).
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Les petits damiers sont des "trackers", des marqueurs qui faciliteront le tracking en post-prod.
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Pour un travelling au ras du sol, le décor a été truffé de marqueurs, sur toute la largeur et la profondeur de l'image. Remarquez que certaines cycliodes ont été cachées par des tissus verts. Pas le temps de peaufiner, mais c'est mieux que de laisser "les gars de la post" rotoscoper les comédiens.
Une fois cet écran précisément calibré, nous n'y avons plus touché.
Mon seul regret: la faible puissance des cycliodes. Pour atteindre 60% de luminosité, notre écran devait être exposé à un diaph de 1.9. En l'occurrence, cette contrainte a servi l'esthétique du film, puisque les profondeurs de champ réduites faisaient partie de la grammaire visuelle dès les premières discussions avec le réalisateur.
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© Benoît Monney
Votre serviteur, surpris par le photographe de plateau dans un océan de photons verts.