28 mars 2023

La mémoire des couleurs: le réalisme en question


Les "couleurs mémorisées", différentes des couleurs réelles, influencent les préférences des spectateurs.


Cullen Kelly est un étalonneur professionnel offrant des cours en ligne que je vous recommande vivement. Il possède également un talent certain pour la promotion de ses services. Les e-mails qu'il envoie pour encourager ses clients potentiels à investir dans ses cours sont de véritables joyaux de stratégie promotionnelle. 
Son dernier en date aborde un sujet qui m'intéresse tout particulièrement, parce qu'il remet en question le fameux "réalisme", brandi par une majorité de "fabricants d'images" comme étant le Graal.

Passionné par la magie du cinéma photochimique, Cullen a suivi des parcours atypiques qui l'ont amené à apprendre la programmation, se plonger dans la géométrie analytique ou déconstruire des LUTs ligne après ligne.
L'une de ces aventures l'a conduit à examiner les centaines de brevets publiés par Kodak. 

Cullen mentionne un brevet particulièrement intrigant, "Color Image Reproduction of Scenes with Preferential Color Mapping and Scene-Dependent Tone Scaling". Ce brevet, déposé en 2001 par l'un de ses héros en science des couleurs, le Dr Mitch Bogdanowicz, souligne que la reproduction fidèle des couleurs d'une scène ne suffit pas pour créer une image agréable. Il est recommandé d'opter pour une "reproduction préférée" qui réajuste les couleurs en fonction de leur apparence réelle.

L'un des points marquants de cette recommendation est qu'elle émane de Kodak, dont la mission a priori est de restituer le plus fidèlement possible les couleurs, pour approcher cette chimère - à mon sens - qu'est la réalité.

Je ne veux pas m'étaler trop longuement sur le sujet, je préfère l'aborder sous plusieurs angles dans des posts relativement courts. 

Voici donc un extrait du texte du brevet:

"Il existe un autre type de reproduction des couleurs capable de sublimer les images bien au-delà d'une reproduction équivalente. La "reproduction préférée" des couleurs se définit comme un procédé dans lequel les couleurs s'écartent de l'apparence originale, soit de manière absolue, soit par rapport au blanc, afin de proposer un résultat plus attrayant au spectateur.
Certaines améliorations de couleurs préférées s'appuient sur le concept de couleurs mémorisées. Les recherches ont révélé que notre mémoire de certaines couleurs, comme les teintes de peau (carnations), la verdure et le ciel bleu, diffère des couleurs réelles. Les couleurs mémorisées présentent souvent des nuances différentes et une saturation accrue par rapport aux couleurs authentiques. 
Des études montrent que les spectateurs préfèrent les reproductions se rapprochant davantage des couleurs mémorisées plutôt que des couleurs réelles. Plusieurs chercheurs ont tenté de déterminer les positions optimales de ces couleurs lors d'expériences psychophysiques contrôlées. Cependant, les résultats sont souvent contradictoires, et il a été démontré que les préférences en matière de couleurs peuvent évoluer avec le temps, à mesure que des systèmes offrant des gammes de couleurs plus étendues deviennent disponibles. Le concept de couleurs mémorisées n'a jamais été intégré systématiquement dans la conception des systèmes de reproduction des couleurs."


Dans sa pratique professionnelle, Cullen insiste sur l'importance des looks pour améliorer l'esthétique globale des images. Il a même écrit et présenté un article sur le sujet lors de la conférence annuelle SMPTE. Selon lui, les looks ont autant d'importance, voire plus, que les ajustements effectués sur chaque plan individuellement. C'est la raison pour laquelle il commence toujours un étalonnage avec un look solide en place.

Ce sujet des couleurs qui "font vrai" au détriment des couleurs réelles ne concerne pas que l'étalonnage, mais interroge notre attitude qui consiste à viser l'objectivité plutôt que d'assumer nos subjectivités.


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