09 juillet 2011

Cadre ou lumière / cadre et lumière

"Valhalla Rising" de Nicolas Winding Refn. Le chef op Morten Søborg a cadré lui-même en RED.






Leonor Lacroix, étudiante Image à l'IAD, m'a récemment posé quelques questions sur la complémentarité des métiers de la lumière et du cadre. Comme je pense que le sujet pourrait intéresser quelques uns d'entre vous, je poste des extraits de l'interview.

Considérez-vous que les choix de cadrage doivent être faits uniquement par le réalisateur ou en collaboration avec le chef opérateur ? Par rapport à la situation que vous rencontrez le plus souvent, souhaiteriez-vous qu’il en soit autrement ?

Mes goûts et mon éducation cinématographique me poussent à préférer que le cadre soit dicté par le réalisateur. Pour moi, cadrer c'est prendre des décisions fondamentales, très étroitement liées à la narration de l'histoire, c'est-à-dire la réalisation. Pas seulement en terme de champ/hors-champ, mais aussi de focale, de hauteur de caméra, de mouvements millimétriques. Et surtout de point de vue. Un cadrage "sympa" ou séduisant n'est pas forcément juste. Ni forcément porteur de sens. Mes maîtres en la matière sont Hitchcock et Kubrick. Leurs cadres sont rigoureux et simples, et contribuent à impliquer très fortement le spectateur.

Les décisions de cadrage peuvent évidemment se prendre à deux - réa et chef op - mais la direction générale devrait impérativement être donnée par le réalisateur. Il se peut ensuite que le réa laisse la bride sur le cou au cadreur/chef op, en pariant sur sa sensibilité, mais il a au moins donné le cap.

Les réalisateurs qui laissent au chef op la liberté de décider des cadres, que ce soit en phase de storyboard/découpage ou sur le plateau, me semblent déléguer une part trop importante de leur travail. Ca équivaut à mon sens à une forme de démission.

Lorsque vous préparez une scène, vous commencez par analyser et résoudre tous les problèmes liés au cadre avant de mettre en place la lumière ? Parvenez-vous à mettre en place simultanément le cadre et la lumière ?

Je commence à élaborer les images (cadre, mouvements, lumière, rythme) à la lecture du scénario. Je continue ce processus pendant les repérages, et je le confronte à ce qui est effectivement réalisable le matin du tournage.

D'une manière générale je préfère que les principales décisions de cadre soient prises avant de commencer à éclairer une séquence. L'un des paramètres importants de la mise en lumière est d'organiser la séparation des "couches" en profondeur. Pour faire simple: restituer la sensation d'espace entre le premier plan, les comédiens et le décor. Le choix du placement de la caméra, de la focale, du cadre et de son déplacement vont directement influencer les choix de placement des sources. Que ce soit pour des raisons techniques ou artistiques.

Il y a tant de paramètres qui s'influencent mutuellement qu'il me semble judicieux de commencer par en figer quelques uns. Déterminer le cadre - en fonction d'une mise en place avec les comédiens et le réalisateur - est un bon début.

Evidemment, le cadre peut ensuite évoluer en fonction des besoins de l'éclairage, ou pour accentuer l'expressivité d'un setup une fois que la lumière est terminée.

Considérez-vous que le fait de regarder dans le viseur de la caméra pendant toutes les répétitions vous permette de « mieux » construire votre lumière ? Et aussi que le fait d’observer dans le viseur toutes les prises vous permette de mieux juger de la justesse de votre lumière ?

Absolument. C'est capital parce que j'éclaire "en profondeur", en découpant des tranches avec la lumière. Mais aujourd'hui il n'est plus nécessaire de squatter l'oeilleton de la caméra pour contrôler l'adéquation du cadre et de la lumière. Je me débrouille pour avoir accès en permanence à un écran de contrôle.

Les nouvelles possibilités de monitoring "wireless" réalisent l'un de mes plus vieux rêves: voir en direct, loin de la caméra, l'effet du réglage de chaque source sur le résultat final.

Vous arrive-t-il de ne faire que la lumière/que le cadre sur certains films ? Pour quelles raisons ?

En règle générale je cadre ce que j'éclaire, sauf par exemple lors de plans en Stead ou sur grue à manivelle. Mais que je fasse l'un, l'autre ou les deux, l'essentiel est de comprendre ce que fait l'autre. Ce qu'il vise, ce qui motive ses choix. C'est souvent plus simple quand ce dialogue est intérieur. Mais pas forcément plus clair pour le reste de l'équipe. Un vrai dialogue force à préciser ses intentions, à argumenter, à se confronter à l'autre.
Ce genre de dialogue est extrêmement enrichissant, à une seule condition: qu'il ne vire pas à une confrontation des egos en présence. Un équilibre très délicat s'établit alors, où chacun écoute l'autre sans arrière-pensées, avec comme seule préoccupation le sens et la justesse du résultat final.

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Remarques supplémentaires: le métier de cadreur a tendance à disparaître, pour quelques raisons évidentes (j'en oublie certainement):

- économique: le cumul dir phot + cadreur épargne un salaire à la prod;
- la culture du cadrage devient facultative (les règles de la composition sont malheureusement considérées comme désuètes, et peu d'écoles de cinéma les mettent au programme);
- les bons cadreurs sont rares ou difficiles à trouver > les dir phot ont tendance à assurer eux-mêmes le cadre;

Résultat: les films sont très fréquemment moins bien cadrés qu'autrefois.

Je sors rarement d'un film en me disant qu'il est bien cadré, ou alors le cadre attire spécialement l'attention sur lui, comme dans "The King's Speech" ou "Valhalla Rising". Dans ces cas exceptionnels, le cadrage demande une attention plus soutenue, qui justifierait un poste supplémentaire - même si Valhalla a été cadré par son dir phot.

Et vous, quels films vous ont frappé pour leur cadrage?