30 juin 2010

Instit' - petit tournage "sucré-salé"




J'ai récemment documenté un tournage d'institutionnel pour vous faire partager certaines options retenues.
L'objectif était de tourner deux personnages en NB sur fond blanc uniforme, pour les intégrer par la suite dans des effets spéciaux plus élaborés.
Nous avions transformé un étage vide en studio simple. Comme les couleurs importaient peu, le moniteur était réglé sur Noir-Blanc. La lumière du jour atteignait le plateau - impossible de borgioler les dizaines de fenêtres - mais j'avais néanmoins opté pour des sources tungstène, pour des questions de budget.
Le fond blanc était illuminé par des Cycliodes au sol et à diverses hauteurs, de part et d'autre du plateau, en faisceaux croisés pour bien étaler les photons. Mesures au posemètre et en histogrammes sur un Astro.

Les protagonistes étaient statiques. Par contre le réalisateur voulait pouvoir jongler avec les valeurs de plans (très larges à très serrés) sans forcément les regrouper, pour pouvoir mettre les protagonistes à l'aise. Mon chef électro Tangi Zahn et moi mémorisions les positions, directions, hauteurs, fonctions et réglages des principales sources. Tangi a proposé un système astucieux (cf. diaporama ci-dessus).

Comme la lumière ambiante variait beaucoup au fil de la journée, nous devions l'apprivoiser avant qu'elle n'arrive sur le plateau, de façon que les Fills ne varient pas (grand polys, surveillance des reflets au sol, grand diffuseurs latéraux, etc.). Les Keylights étaient de toute manière plus puissants que l'éclairage résiduel du jour. Ces Key étaient des Chimeras montées sur Blondes et des Kinos 4 tubes 120.

S'il fallait utiliser une métaphore culinaire, je dirais que la lumière douce me semble sucrée, alors que les sources plus "pointues" - diffusées à même le projo - m'évoquent des notes plus salées, et que les petites sources directes font office de grains de poivre ou de piment thaï.

Le jeu étant de les assembler harmonieusement pour que la sauce développe, par le jeu des contrastes, des arômes qui mettent en valeur le plat. J'arrête là les métaphores: personne n'a jamais attaqué les acteurs avec une fourchette.

20 juin 2010

Le Lac Noir - repérages



Le prochain film de Victor Jaquier est un conte noir qui évoque beaucoup d'images fortes dès la lecture du scénario. Victor est lui-même très visuel, et son storyboard est déjà une oeuvre d'art. 
Nous sommes allés au bord du Lac de Derborence pour repérer les principaux décors extérieurs du film.

Sur ce film je travaillerai les images avec Hugo Veludo, un complice de longue date de Victor. J'ai déjà travaillé en binôme avec d'autres chefs op, en grande partie parce que je trouve qu'un vrai dialogue vaut mieux qu'un monologue intérieur. Ca implique évidemment de mettre au point une méthode de travail rigoureuse et d'être sur la même longueur d'ondes.

Or donc, les décors du Lac se sont avérés magnifiques. Nous avons pris moult photos, dont des panoramiques:















Ces panoramas ne reflètent pas forcément ce qui sera filmé, mais contextualisent le décor en indiquant des points d'accroche, des accès possibles, les obstacles naturels, les proportions, etc.

En passant en revue les axes de prises de vues, nous avons déterminé deux grandes directions de lumière, pour les jours et les nuits.

Deux contraintes majeures ont été identifiées:
- le décor est une réserve naturelle, dans le sens très strict du terme;
- l'accès des véhicules est problématique;

Une vue depuis le ciel résume la situation:


Contourner les difficultés fait partie des charmes du métier, mais ici les 200 mètres entre la route et le plateau posent de vraies question d'acheminement du (gros) matériel prévu, et du courant pour l'alimenter. La production (Imaginastudio) étudie les différentes possibilités permises par le budget.

Il est prévu de tourner quelques jours dans ce décor, puis en studio pour tous les intérieurs (une cabane biscornue qui sera partiellement construite sur place). Demain soir, nous rendrons visite Gabriel Sklenar, le chef déco du film qui a déjà partiellement construit les décors.

18 juin 2010

Réflexions sur le métier

J'ai répondu à quelques questions d'une étudiante Ciné Créatis de Nantes. Je vous en livre des extraits qui pourraient vous intéresser.


Quand avez occupé le poste de chef opérateur pour la première fois? Sur quel projet? Comment cela s'est-il passé?

J'ai eu envie d'exercer un métier du cinéma dès 12-13 ans. Dans les années qui ont suivi, j'ai constaté que j'étais sensible à la lumière (dans ma vie et au cinéma). A la façon dont la lumière révèle/modifie/met en valeur notre quotidien. Je me suis mis à décortiquer ça, pour ensuite être capable de recréer ces phénomènes sur un plateau.

Je constatais aussi que peu de gens de mon entourage cinéma étaient intéressés par la lumière. Tout le monde voulait réaliser ou jouer. A la limite cadrer. Mais éclairer n'intéressait pas grand monde. Je me suis donc glissé dans la brèche.
J'ai occupé pas mal de postes à la lumière ou à la caméra. Mais j'ai grandi à une époque où les chefs opérateurs en place ne partageaient pas leurs connaissances, et travaillaient avec des potes. Et puis leur style réaliste me semblait un peu tristounet.

Il n'y a donc pas eu de première fois, mais des dizaines de premières fois. Je défrichais beaucoup de nouveaux territoires à chaque film. Comme j'étais le seul à pouvoir évaluer ce que je faisais, j'étais mon plus féroce critique. Et je suis toujours aussi critique envers ce que je fais aujourd'hui.

A l'époque je tournais tout en pellicule (Super-8, puis 16 et Super-16, puis 35). Entre le moment où je testais un effet et le résultat il se passait 3 jours interminables, pendant lesquels je me faisais beaucoup de soucis en imaginant le pire. J'aimais prendre des risques, tester les limites du support. Aujourd'hui il suffit de regarder le moniteur HD sur le plateau pour évaluer les implications du moindre réglage. Faire de belles images aujourd'hui, c'est vraiment facile.

Certains films ont compté plus que d'autres parce qu'ils représentaient pour moi le franchissement de cols de haute montagne. Je me rappelle par exemple de "Via Crucis" ou "Akelarre" de Mauro Losa, ou "Trois Fois Rien" de David Leroy, qui ont marqué des étapes dans ma maîtrise du Noir et Blanc.


Comment préparez-vous un tournage? Avec quels postes principalement?

Le réalisateur et mon chef électro sont mes interlocuteurs principaux. Ensuite des dialogues avec le chef déco, la maquilleuse et la costumière me semblent essentiels. Sur certains films la courroie de transmission est le directeur artistique. On discute influences, références, scènes clefs. Ca, c'est pour "l'art". Pour le reste, je fais des ping-pong avec la prod pour trouver des compromis, et avec le premier assistant pour fluidifier le travail.

Mais finalement je me rends compte que les films dictent, pour une bonne part, leur propre style. Même si j'accorde beaucoup d'importance à la prépa, je dois reconnaître que les circonstances matérielles, humaines, logistiques et l'inspiration du moment, la prise en compte des "accidents heureux" dont je parlais plus haut, contribuent pour une grande part au look final du film.

Denis Lenoir et Philippe Rousselot évoquaient tous deux, dans des interviews toutes récentes, que les films nous mènent souvent là où ils veulent aller, quelles que soient les références visuelles évoquées en prépa.


Quelles ambiances lumineuses préférez-vous recréer?

J'aime tous les styles (réaliste, fantastique, glamour, dramatique, etc.) sauf le naturalisme. L'un des styles les plus difficiles est le "réalisme amélioré" qui vise à produire des images dont on ne doit pas sentir qu'elles ont été maîtrisées.

J'ai plutôt la réputation d'un styliste, mais j'ai signé les images de "L'Ecart" de Franz-Joseph Holzer, un long-métrage réaliste qui impliquait un travail soutenu de rectification du réel, pour recréer sur le capteur toutes les nuances de ce que je voyais avec mes yeux.

Le film a été exploité en 35mm et les images tenaient la route, mais je savais que bon nombre de plans "réalistes" avaient nécessité un travail invisible mais indispensable.

Pour le commun des mortels, faire les images d'un film réaliste semble se borner à utiliser une petite caméra en mode automatique. Ils trouvent que les blancs cramés ou les noirs granuleux font réaliste.

Pourtant ça n'est pas comme cela que nos yeux voient le monde. Nous sommes parfois éblouis, mais nous n'avons jamais l'impression de perdre des informations dans les parties les plus claires. Et pendant que nos yeux s'habituent à l'obscurité dans une grotte, nous ne voyons jamais de "grain" ou de "bruit".

Le dosage précis des quantités de lumière qui arrivent sur l'émulsion ou sur le capteur, dans le but de restituer au final toute la richesse des tonalités du réel - du noir le plus noir au blanc le plus blanc - c'est une bonne partie de mon travail de directeur de la photographie.


Comment vous est venu l'idée de créer un blog sur le travail de chef opérateur?
Pourquoi vouloir partager autant? Autant de découvertes, d'astuces de travail aussi. Un désir d'enseigner?


Comme je le mentionnais plus haut, j'ai grandi à une époque où les chefs op ne partageaient rien. Persuadés que leurs trucs et leurs filtres étaient leur fond de commerce.

J'étais pourtant littéralement assoiffé de connaissances. Je m'informais en lisant TOUT ce qui était accessible avant l'apparition d'internet: revues américaines (ASC, Cinefex), livres anglo-saxons (les traductions françaises étaient souvent calamiteuses) et interviews de chefs op. Je fréquentais beaucoup les festivals et les ciné-clubs.

J'ai vu sur grand écran des milliers de films - américains, français, asiatiques - des années 25 à 60. C'était ma meilleure école. J'allais les voir en VO parfois non sous-titrée, aux alentours de minuit, avec 3 ou 4 amis cinéphiles.

Ces séances proposaient des films qui m'ont très fortement marqué. Ceux d'Anthony Mann, Frank Borzage, Vincente Minnelli, Stanley Kubrick, Kenji Mizoguchi, Keisuke Kinoshita, Friedrich Willhelm Murnau, Rainer Werner Fassbinder, Douglas Sirk ou Alfred Hitchcock étaient autant de cours magistraux sur le cinéma. A la sortie des séances, nous disséquions le film pendant des heures, sur le trottoir devant le cinéma.

Tout était sujet à discussion, nous étions dévorés par nos passions respectives pour certains aspects du cinéma. Pour ma part, en dehors de la mécanique du scénario et des idées de réalisation, c'était la lumière qui retenait souvent mon attention. Mais nous discutions rarement de lumière. Je manquais pendant de longues années d'interlocuteurs dans ce domaine si particulier.

Par réaction au mutisme des chefs op et à la difficulté de confronter mes impressions "lumineuses", je me suis promis de faire en sorte de ne pas reproduire les mêmes schémas plus tard. De faciliter le partage de connaissances. D'accueillir et d'encourager la relève.

Vers le milieu des années 90 l'avènement d'internet m'a permis de trouver des réponses et des interlocuteurs (surtout aux Etats-Unis dans un premier temps), et de partager enfin ce que j'avais trop longtemps du garder pour moi.

Par la suite j'ai pu former des jeunes, que je sélectionnais pour la qualité de leur écoute et l'ardeur de leur passion pour ces métiers si exigeants. Je me reconnaissais en eux. A leur âge, je n'avais pas l'occasion d'approcher d'une caméra 35mm, d'un projecteur allumé ou de tester l'effet d'une "mama". J'ai alors mis sur pied des cours lumière pour permettre aux gens de démystifier le métier, d'en comprendre les rouages, de toucher du matériel professionnel.

Le blog m'a semblé une suite logique à ce partage des connaissances. L'intérêt pour la compréhension et la maîtrise de la lumière va grandissant. Je reçois tous les jours des demandes d'information, de cours, de conseils, de stages. Je ne peux malheureusement pas répondre à tout le monde. Ces interlocuteurs des nouvelles générations me surprennent par leur acuité, leur culture visuelle, leur talent.

Je constate à quel point les humains peuvent progresser et exceller en échangeant, sur tous les registres. C'est cet échange d'informations et d'émotions que je souhaite soutenir, autant que je le peux, en prenant sur mon temps libre pour alimenter le blog, répondre aux sollicitations et former les techniciens de demain.


Quels format préférez vous? Le long métrage, le court, la pub les clips? Ou le fait de changer de s'adapter est plus stimulant et formateur?

Je n'aime pas la routine. Alterner les formats, les supports, les équipes, passer d'une grosse pub à un court fauché en passant par un clip bourré d'effets me pousse à rester sur la brèche, à exercer des réflexes.

La taille du capteur, le renom du réalisateur ou le décor exotique ne doivent pas vous faire oublier l'essentiel: il importe de choisir des projets ambitieux. Mais ambitieux dans le bon sens du terme: qui vous poussent à vous confronter à des situations inédites, à vous surprendre vous-même, à vous affûter. A rester vivant, en somme.


Enfin quels films admirez-vous pour leur lumière, leur ambiance? Les chefs opérateurs dont le travail vous plaît.

Il y en a beaucoup trop. Disons que les lumières de Conrad Hall, Sven Nykvist, Henri Alekan, Stanley Cortez, Darius Khondji, Russell Metty, Xaver Schwarzenberger, Gordon Willis, John Alton, Jordan Cronenweth, Harry Stradling, Juan Ruiz Anchia, Gregg Toland, John Seale, Nestor Almendros, Emmanuel Lubezki, Henning Bendtsen, Slawomir Idziak, Christopher Doyle, Philippe Le Sourd, Peter Suschitzky, John Toll et Eduardo Serra m'ont durablement marqué.

08 juin 2010

Infiniti 2.0 - les détails


Deux ans après les premiers films pour cette marque, nous avions tiré les leçons. Petite liste non exhaustive:

Problème: le hangar où nous tournons est muni d'un toit solide mais partiellement ajouré, alors qu'il nous faut du noir complet.
Solution: il y a deux ans nous avions lesté des borgnoles sur le toit. Mais le vent et la pluie s'en étaient mêlés. Cette année nous avons solidement fixé des tapis de danse.
Et j'ai opté pour des éclairages 100% HMI et lumière du jour, au cas où le soleil viendrait à percer de temps à autres, pour assurer une température de couleur constante.

Problème: les murs du hangar sont pourvus de poutres métalliques placées au mauvais endroit pour tendre des murs de tissus noir. Il y a trop de risques de plis qui se voient, même s'ils sont noirs sur noir.
Solution: les "murs" sont accrochés à de longues barres métalliques que l'on peut monter et descendre rapidement à l'aide d'un système de guindes et de mousquetons.
Ces murs sont ensuite fixés au cadre qui tient notre "toit", cf. paragraphe suivant. Ceci pour éviter que la séparation entre les murs et le toit ne se voie sur le métal de la voiture.

Problème: il y a deux ans, le "toit" au-dessus des voitures (un cadre de 4m x 4m) n'était pas assez couvrant.
Solution: un cadre 6m x 6m de Light Grid Cloth avec des coutures très fines, fixé lui aussi à un système de guindes pour pouvoir le descendre le plus bas possible au-dessus de la carrosserie si besoin est, ce qui enveloppe la voiture de réflexions flatteuses.

Problème: les réflexions latérales, sur ces longs véhicules convexes, demandent de grandes surfaces de diffuseurs. Il y a deux ans nous avions eu recours à des cadres et à des polys.
Solution: des rouleaux de gélatine (Atlantic Frost) dépliés sur 5 ou 6 mètres. Faible encombrement en hauteur mais fort pouvoir couvrant en longueur.

Plus généralement, pour éviter les "hotspots" sur ces surfaces si pures, j'ai eu recours à des projecteurs plus puissants et placés plus loin. Certaines parties de la voiture étaient éclairées avec des installations alambiquées: une source relativement forte, rebondie sur un grand poly, envoyait une lumière qui passait ensuite à travers une diffusion avant d'arriver sur la voiture.

Nous tournions avec la Red One. Je me servais des zebras et de l'histogramme pour ne pas griller les blancs intenses que l'on devait voir à travers les vitres des véhicules. Et de mon spotmètre Sekonic de temps en temps. Vérification faite en post-prod, presque aucun plan ne nécessite de rectifications avant de passer à l'étalonnage.

La galerie photo ci-dessus sera mise à jour avec de nouvelles photos.

Ci-dessous, je vous ai fait un petit film pour que vous puissiez "spatialiser" les objets les uns par rapport aux autres. C'est plus évident quand ça bouge ;-)
Sur ce film, l'installation est loin d'être terminée mais on avait fait une répétition pour le cadre.



Production: Pixit SA
Matériel lumière: Action Light / Transpalux Suisse

"Carlos" d'Assayas - Lenoir provoque la réflexion

Dans la dernière Lettre de l'AFC, Denis Lenoir remettait en cause l'une des phases artistiques de la préparation d'un film:

DL : "Olivier (Assayas) n’est pas quelqu’un qui donne beaucoup de références. Il est convaincu que les analogies entre photo de film et peinture par exemple sont un peu du flan… sauf bien entendu si le sujet du film est la peinture… Quant aux références venues d’autres films, il est très cinéphile, mais il n’a pas l’habitude de citer telle ou telle inspiration. Je crois qu’il est convaincu que chaque film se détermine peu à peu en se définissant tout seul son propre style. Qu’on ne peut réellement déterminer l’image d’un film avant de se mettre à la tourner. Et je ne suis pas loin d’être d’accord avec lui…"

J'aime bien ces affirmations un peu provoc'.
Philippe Rousselot affirmait la même chose récemment, dans une interview donnée à l'ASC Magazine pour Sherlock Holmes. Il disait qu'un film dicte, de lui-même, son propre look.