07 décembre 2008

L'intégrité des images - comment préserver la consistance d'une "vision" à l'heure du numérique ?

Le grand Janus Kaminski (chef op attitré de Spielberg depuis quelques années) se plaignait récemment du fait que les productions aient de plus en plus tendance à déposséder les chefs op de leurs images. Une bonne partie du contrôle final du look d'un film se déplace depuis quelques années en post-production. Selon Kaminski, les attentes des producteurs se résument à "Assurez-vous d'avoir des images nettes et nous trouverons un génie du téléciné qui les rendra belles".
Il est vrai que les outils de post-prod se sont tellement démocratisés que n'importe qui, à un certain moment, peut mettre son grain de sel et modifier le son ou l'image. C'est valable à Hollywood comme dans les pays où le cinéma n'est pas une industrie: j'ai moi aussi eu des expériences malheureuses. Par exemple un réalisateur qui montait son film s'est mis à tripoter l'étalonnage. En quelques minutes, le look qu'on avait mis au point avant le tournage volait en éclats: alors que nous l'avions tourné en couleurs, il le préférait à présent en Noir et Blanc. Impossible de lui faire changer d'avis. Et encore moins de lui expliquer que si j'avais su que le film allait être exploité en NB, je l'aurais éclairé en conséquence. Le look final était bâtard. Il servait juste à dissimuler, sous la stylisation du NB, la vacuité du propos.

Il ne s'agit pas d'une dispute au sujet de la paternité des images, ni d'un clash d'egos, ni de savoir qui a le dernier mot sur le look d'un film. Mais plutôt de trouver un moyen de préserver la consistance d'une vision, quelle qu'elle soit. J'ai travaillé avec des coloristes qui m'ont amélioré des plans et proposé des solutions auxquelles je n'avais pas pensé. Mais nous travaillons toujours en complicité, au service du film. Et le fait de savoir ce qui est possible en post me rend plus efficace sur le prochain tournage.

L'une des meilleures solutions, à mon sens, est d'impliquer "les gars de la post" - et en particulier ceux de la 3D, le coloriste et/ou le labo - relativement tôt, pour qu'ils s'imprègnent de l'esprit du projet, et qu'ils y apportent leur expertise en amont.
C'est aussi valable pour les postes plus techniques: combien d'entre eux luttent tout seuls devant leur console, une fois le tournage fini, pour détourer un objet, tracker un mouvement ou ôter une dominante alors qu'ils auraient pu proposer des solutions efficaces au tournage pour aider le réalisateur ou le chef op à obtenir un certain effet?

Aujourd'hui, alors que la post-prod prend sur ses épaules des responsabilités de plus en plus lourdes, il est temps de remettre en question les vieux processus, et de revoir le partage des tâches qui datent de l'époque du film.

5 commentaires:

  1. Cette idée de collaboration en pré-production commence à être de plus en plus acceptée (demandée?) par les chefs op et par les "gars de la post". Malheureusement il reste encore à mettre au point une organisation de travail précise (en sachant s'adapter à chaque type de projet) et à faire admettre cette idée par les productions et les réalisateurs.

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  2. Une collaboration en pré-prod serait idéale, moi je mentionnais au moins une collaboration en prod, pendant le tournage.
    C'est moins utopique, mais ça repose quand même sur la compréhension du/des producteurs puisqu'il faut verser quelques jours de salaires supplémentaires.

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  3. Je suis de plus en plus confronté à ce genre de problème. Bien souvent, et de plus en plus, les productions considèrent que le travail du chef op s'arrête au dernier jour de tournage, et que son travail est de livrer l'image la plus exploitable pour la post prod.
    Je trouve cela dommage et irritant au plus haut point. L'étalonnage est pour moi ce qu'est le montage pour les réalisateurs: la finition du travail. Il y a des choses que je fais à la prise de vues, et d'autres que je me garde pour la post prod.
    De plus en plus, je ne suis pas informé du TC, je ne connais pas l'opérateur qui effectue cette opération cruciale et on m'a rétorqué récemment que cela n'était qu'une opération technique.
    Résultat, il a fallu effectuer de nouveaux TC pour des séquences où l'image ne correspondait pas à ce que j'avais tourné et aux demandes de mise en scène. J'en veux pour preuve deux séquences tournées en 500 tungsten, sans 85, qui me sont arrivées au montage avec une dominante chaude. Et le labo qui certifie qu'il s'agit d'un TC droit.
    Je pense qu'il faut que les directeurs de la photo informent les productions quand à leur métier, en quoi il consiste et jusqu'où il s'exerce.

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  4. Merci Christophe, je me sens moins seul ;-)
    L'importance capitalissime de l'étalonnage échappe à la majorité des gens, même ceux qui "font du cinéma".
    Il ne s'agit pourtant pas d'une marotte de chef op. Comme je l'ai déjà dit dans un post, l'étalonnage compte pour 30% de mon travail sur l'image.

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  5. Je dis toujours que je fais 50% de mon image à la prise de vues, et le reste en post prod. Mais je suis assez d'accord avec ton pourcentage, au final.

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